Bulletins de paie erronés et responsabilité de l'expert-comptable

Décision du tribunal : Cour de cassation n° 20-16.456

Date : 06/07/2022

NOTRE ANALYSE

Des erreurs ont été commises par l’expert-comptable dans le calcul des primes d’ancienneté, déterminées selon un mode de calcul plus favorable que celui prévu par la convention connective. La Cour ne reconnaissant pas l’existence d’un lien de causalité entre la faute de l’expert-comptable et le préjudice dont l’entreprise demande réparation, déboute celle-ci de sa demande de dommages-intérêts.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Lyon, 21 novembre 2019), la société d’expertise comptable Cabinet [O] (le cabinet [O]) a exercé pour la société Menuiserie [B] (la société [B]) différentes missions dont l’établissement des paies de 2005 à 2015.

2. Considérant que le cabinet [O] avait commis une erreur dans le calcul des primes d’ancienneté versées à ses salariés, la société [B] l’a assigné en responsabilité.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société [B] fait grief à l’arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts dirigée contre le cabinet [O], alors :

« 1°/ que l’expert-comptable qui a reçu la mission de rédiger les bulletins de paie pour le compte de son client est tenu d’une obligation de conseil portant sur la conformité de ces bulletins aux dispositions légales et réglementaires ; qu’il doit donc attirer l’attention de son client sur le fait que le calcul de la prime d’ancienneté mise en place antérieurement à son intervention n’est pas conforme à la convention collective, afin de déterminer s’il s’agit d’une erreur qu’il convient de rectifier ou d’un usage mis en place dans l’entreprise ; qu’en l’espèce, la société [B] a reproché au cabinet [O] d’avoir manqué à son devoir de conseil en perpétuant le mode de calcul des primes d’ancienneté plus favorable que les dispositions de la convention collective applicable pratiqué avant son intervention sans l’avoir alertée sur ce point ; que, pour rejeter son action, la cour d’appel a retenu que l’expert-comptable n’avait pas à attirer l’attention de sa cliente sur le choix fait au titre de la prime d’ancienneté qui ne correspondait pas à une erreur au début de son intervention et pour les années suivantes ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que la société [B] justifiait de ce que le calcul de la prime d’ancienneté était le fruit d’une erreur commise par son ancien dirigeant, M. [B], en produisant une attestation de ce dernier confirmant cette erreur ; que pour décider que cette attestation n’était pas probante, la cour d’appel a relevé qu’elle pouvait s’expliquer par les termes du protocole de cession des actions qu’il détenait dans la société [B], qui mentionnait qu' »aucun salarié, ni dirigeant ne bénéficient d’un contrat particulier et les rapports entre la société et son personnel sont uniquement régis par la législation et la réglementation en vigueur, notamment la convention collective applicable » ; qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions qui soutenaient que M. [B] n’avait plus aucun lien juridique ou financier avec la société [B] et qu’aucune garantie de passif n’avait été conclue, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que, tenus de motiver leur décision, les juges du fond doivent préciser les éléments de preuve sur lesquels ils se fondent ; qu’en retenant, par motifs adoptés des premiers juges, que le calcul de la prime d’ancienneté n’était pas le fruit d’une erreur commise par M. [B] mais d’une décision assumée qu’il n’était pas de la responsabilité du cabinet [O] de remettre en cause, sans préciser les éléments sur lesquels elle s’est fondée pour affirmer que M. [B] avait délibérément souhaité gratifier ses salariés au-delà des prévisions de la convention collective, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que le juge ne doit pas méconnaître les termes du litige ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu, pour débouter la société [B] de sa demande, qu’elle n’expliquait pas en quoi une information sur l’erreur de calcul de la prime d’ancienneté lui aurait permis de revenir sur l’avantage bénéficiant ainsi aux salariés ; qu’en statuant ainsi, quand la société [B] faisait justement valoir dans ses conclusions que, si elle avait été informée en 2005 de l’erreur commise dans le calcul de la prime, elle aurait pu envisager de la corriger, la cour d’appel a violé l’article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Après avoir constaté que le nouvel expert-comptable de la société [B] avait indiqué à celle-ci qu’elle versait à ses salariés, au moins depuis l’année 2005, une prime d’ancienneté progressive suivant leurs années de présence dans l’effectif de l’entreprise, calculée de manière proportionnelle au salaire, et non de manière forfaitaire comme prévu par la convention collective, l’arrêt relève que si le mode de calcul de la prime d’ancienneté appliqué par la société [B] n’est pas conforme à la convention collective, il est plus favorable aux salariés, et qu’il n’est pas soutenu que cet avantage correspondrait à une application illégale des textes sociaux. Il retient, par motifs propres et adoptés, que l’application de ce mode de calcul, remontant à quatre années avant l’intervention du cabinet [O], n’est pas le fruit d’une erreur, mais une décision assumée de M. [B], ancien rédacteur des bulletins de paie et dirigeant de l’entreprise jusqu’à sa cession en 2015, que le cabinet [O] n’avait pas la responsabilité de remettre en cause. Analysant les attestations établies par M. [B], il relève que celui-ci n’est pas fondé à se prévaloir d’une méconnaissance de la réglementation pour la confection par ses soins de fiches de paie, dont les modes de calcul sont précis et complexes, et qu’il ne peut pas s’exprimer au conditionnel pour expliquer au nouveau dirigeant de l’entreprise que son choix était consécutif à une erreur. Il relève en outre que les termes de la seconde attestation de M. [B] sont susceptibles de s’expliquer par le protocole de cession des actions de la société [B], qui ne signale pas la pratique antérieure et constante d’une bonification de la prime d’ancienneté.

5. En l’état de ces constatations et appréciations, abstraction faite des motifs erronés, mais surabondants, critiqués par la première branche, la cour d’appel, qui n’a pas ignoré que la société [B] soutenait qu’elle aurait pu revenir sur le calcul de la prime, mais a seulement considéré que celle-ci ne démontrait pas qu’elle aurait effectivement pu y procéder, et qui a apprécié souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, pour en déduire, par une décision motivée, sans être tenue d’entrer dans le détail de l’argumentation des parties, que l’existence du lien de causalité entre la faute de l’expert-comptable et le préjudice dont la société [B] demandait réparation n’était pas établi, n’encourt pas les griefs du moyen.

6. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Menuiserie [B] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Menuiserie [B] et la condamne à payer à la société Cabinet [O] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour la société Menuiserie [B].

Le moyen de cassation fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté la société Menuiserie [B] de sa demande de dommages-intérêts dirigée contre la société cabinet [O] ;

Aux motifs qu’« en application des articles 1134 et 1147 anciens du code civil, au regard de la date du début des rapports contractuels antérieure au 1er octobre 2016, il appartient à la société [B] de rapporter la preuve de la faute contractuelle commise par le cabinet [O] et du préjudice qui en est découlé. Aucune lettre de mission n’a été signée en 2005 concernant le volet social de l’intervention de l’expert-comptable, seuls les volets comptable et fiscal en ayant fait l’objet, mais les parties ne discutent pas que ce volet social a bien été confié au cabinet [O] dès le début de l’année 2005.
La société [B] reproche au cabinet [O] de n’avoir pas respecté des obligations qualifiées de résultat touchant au conseil, à la mise en garde, à l’alerte et à l’investigation, et de n’avoir pas réalisé d’analyse de la situation existante concernant les modalités dites erronées du calcul de la prime d’ancienneté par le système informatique mis en place par ses soins depuis l’année 2003.
Elle ajoute que le cabinet [O] est fautif pour ne pas lui avoir fait signer une nouvelle lettre de mission incluant le volet social.
Le cabinet [O] approuve les premiers juges qui ont retenu que le système de calcul déjà appliqué au moment de l’extension de sa mission au volet social correspondait à une décision assumée rendue possible du fait qu’elle était dans l’intérêt des salariés.
Il affirme n’être débiteur que d’une obligation de moyens avec pour corollaire un devoir de coopération et d’information du client, et que l’obligation de résultat invoquée par l’appelante n’est due qu’à raison du respect des délais, de tâches simples ou de l’exactitude des opérations comptables à l’exclusion des obligations générales de l’expert-comptable comme notamment celle de conseil.
Il ajoute n’être pas tenu de contrôler la conformité ou l’exactitude des décisions de sa cliente par rapport aux dispositions d’une convention collective du moment qu’elles ont été respectées et être interdit d’immixtion dans les choix de son client d’avantager ses salariés.
Il conteste enfin avoir été tenu de formaliser une nouvelle lettre de mission pour le volet social qui n’était qu’accessoire à ses missions comptables et fiscales.
Tout d’abord, la discussion lancée entre les parties sur l’absence d’une nouvelle lettre de mission concernant le volet social est inopérante à caractériser une faute de nature à provoquer le préjudice invoqué de paiement de primes d’ancienneté supérieures à celle prévue par la convention collective, qui provient selon le cabinet [O] d’une intention délibérée d’avantager les salariés et selon la société [B] d’une absence d’exécution d’une obligation de vigilance et d’information de l’expert-comptable.
Cette lettre de mission a été uniquement rendue obligatoire par l’article 151 du code de déontologie des experts-comptables depuis la parution de ce code en septembre 2007, et son absence de formalisation pour les années suivantes n’a pas pour effet d’exonérer le professionnel de toute responsabilité ni de le dispenser de ses missions fondamentales.
En l’absence d’une lettre de mission, il n’est pas établi que le cabinet [O] se voit vue confier une mission d’audit préalable.
En application de l’article 155 du code de déontologie, l’expert-comptable est en effet tenu à l’égard de son client d’un devoir de conseil dans le cadre de la mission qui lui a été confiée et doit à ce titre tenir son client régulièrement informé de l’évolution des textes, l’éclairer sur les différentes possibilités qui lui sont offertes comme le guider dans ses choix afin de lui permettre d’opter pour la solution la plus favorable à ses intérêts.
Ce professionnel n’est débiteur que d’une obligation de moyen concernant les conseils et l’information due à sa cliente, l’obligation de résultat étant attachée comme le relève le cabinet [O] à l’accomplissement dans les règles et dans les délais de ses tâches attachées à ses missions comptables, fiscales et sociales.
S’agissant de l’erreur imputée à cet expert-comptable, le cabinet [X] a indiqué dans son courrier du 28 juillet 2016 que la société [B] avait versé à ses salariés au moins depuis l’année 2005 une prime d’ancienneté progressive suivant les années de présence dans l’effectif de l’entreprise, calculée de manière proportionnelle au salaire et non forfaitairement comme prévu par la convention collective Ameublement (fabrication) IDCC 1411.
Dans son courrier du 18 avril 2016, le conseil de la société [B] relève que les calculs de la prime d’ancienneté sont non conformes à la convention collective mais plus favorables aux salariés et que ce mode de calcul était difficilement susceptible d’être remis en cause du fait qu’il s’agit d’un avantage acquis aux salariés au titre d’un usage.
Le cabinet [O] verse aux débats plusieurs fiches de paie concernant deux salariés remontant à une période antérieure au début de sa mission sociale (octobre 2000, octobre, novembre et décembre 2003, janvier à décembre 2004 pour M. [M], octobre 2000 pour MM. [B], [J], [A], [H], [F], [R], [N], [P] et [K], comme Mme [B]) qui démontrent que la convention collective n’était alors pas appliquée par M. [Y] [B] pour calculer la prime d’ancienneté.
Le propre tableau établi par le cabinet [X] pour l’année 2004, avant l’intervention du cabinet [O], établit que les salariés ont bénéficié d’une prime d’ancienneté supérieure à celle prévue par la convention collective.
Les parties ne soutiennent d’ailleurs pas que cet avantage conféré aux salariés correspondait à une application illégale des textes sociaux, et cette permanence d’application d’un calcul favorable aux salariés comme l’éventuel usage susceptible d’être mis en avant par ces derniers ne pouvaient conduire l’expert-comptable à attirer l’attention de sa cliente sur son choix fait au titre de la prime d’ancienneté qui ne correspondait pas à une erreur tant au début de son intervention que pour les années suivantes.
Dans son attestation du 6 avril 2017,M. [Y] [B], ancien dirigeant de la société [B] indique que « Directeur de la société SA [B] en 2004 et suite à la proposition d’un cabinet comptable concurrent au mien ([O] et associés) qui me faisait un meilleur tarif, la société [O] m’a proposé de prendre en charge le social qui représentait pour moi un travail important et de maintenir son tarif de l’époque. »
Dans sa seconde attestation du 15 décembre 2017, cet ancien dirigeant relate « je faisais moi-même les paies jusqu’en 2004 », que « A aucun moment je n’ai donné instruction au cabinet [O] de mettre en place une prime supérieure à la prime d’ancienneté conventionnelle légale ou de répéter une erreur de calcul que j’aurais pu faire par méconnaissance de la réglementation. » et que « ce n’est que le nouveau dirigeant [C] [T] et son nouvel expert-comptable qui m’ont signalé début 2016 une erreur que je ne peux ni dater ni expliquer l’origine. »
Cet ancien dirigeant n’était pas pertinent à se prévaloir d’une méconnaissance de la réglementation pour la confection par ses soins de fiches de paie dont les modes de calcul sont précis et complexes et ne pouvait pas s’exprimer au conditionnel pour expliquer au nouveau dirigeant de l’entreprise que son choix était consécutif à une erreur.
Les termes de la seconde attestation de M. [B] sont d’ailleurs susceptibles de s’expliquer par le protocole de cession des actions de la société [B], en partie détenues par ce dirigeant, à la société Menuiserie Jacques qui mentionnait dans son article 16 « Contrats de travail – rémunération »
« La société dépend de la convention collective Ameublement – Fabrication.
Aucun salarié, ni dirigeant ne bénéficient d’un contrat particulier et les rapports entre la société et son personnel sont uniquement régis par la législation et la réglementation en vigueur, notamment la convention collective applicable. »
termes qui ne signalaient pas la pratique antérieure et constante d’une bonification de la prime d’ancienneté.
La société [B] n’est ainsi pas fondée à reprocher au cabinet [O] d’avoir maintenu le même calcul dérogatoire dans les années suivantes, compte tenu d’une pratique remontant auparavant à environ quatre années pour plusieurs salariés, et d’avoir omis d’informer M. [B], ancien rédacteur des fiches de paie et dirigeant de l’entreprise jusqu’à la cession de 2015, sur son mode de calcul qui n’était pas irrégulier.
La société [B] n’explique pas en quoi une telle information lui aurait permis de revenir sur cet avantage consenti aux salariés dont les premiers juges ont à juste retenu qu’il n’était pas établi qu’il découlait d’une erreur.
Leur décision doit en conséquence être confirmée en ce qu’elle a débouté la société [B] de sa demande indemnitaire en l’absence de caractérisation d’une faute de l’expert-comptable » (arrêt, pp. 4 à 6) ;

Et aux motifs, à les supposer adoptés du jugement, que « Monsieur [B] a missionné le Cabinet [O] en 2005 pour réaliser les payes et la comptabilité de l’entreprise qu’il dirigeait et dont il avait lui-même mis en place et géré le système depuis 2003.
Que lors de la cession de son entreprise par Monsieur [B], le nouveau cabinet en charge de la comptabilité en remplacement du cabinet [O] a indiqué à Monsieur [B] que les primes d’ancienneté n’étaient pas calculées sur la rémunération minimum conventionnelle mais sur le salaire de base de chaque salarié ;
Que Monsieur [B] a alors assigné le cabinet [O] lui reprochant d’avoir commis une erreur ayant causé un préjudice financier sur une période allant de 2005 à 2015 et que la responsabilité civile professionnelle du cabinet était engagée ainsi que sa responsabilité contractuelle.
Attendu que le Tribunal considère dès lors que, comme observé, la décision prise en 2003 par Monsieur [B] de mettre en place un système de calcul de la prime d’ancienneté indexé sur le salaire de base et non pas sur le minimum conventionnel n’est pas une erreur mais bien une décision assumée que le cabinet [O] n’avait pas la responsabilité de remettre en cause ;
Qu’il ne peut être considéré que le cabinet [O] a failli dans son devoir de conseil dans la mesure où Monsieur [B] ne peut apporter la preuve qu’il aurait lui-même commis une erreur puisque le dirigeant de l’entreprise est en droit d’adapter le système de calcul de cette prime si celui retenu va dans le sens de l’intérêt des salariés, ce qui est le cas.
Qu’il ne peut non plus être établi un lien de causalité entre le défaut de lettre de mission relative à ce sujet et un éventuel préjudice qui en découlerait puisque la décision prise par Monsieur [B] et sa mise en application avant l’arrivée du cabinet [O] était de sa seule responsabilité et qu’elle ne consistait pas en une erreur que le cabinet [O] aurait dû découvrir.
Attendu en conséquence que le Tribunal,
Dit que le Cabinet [O] n’a pas commis de faute dans l’exercice des missions qui lui ont été confiées et qu’en conséquence, ni sa responsabilité civile professionnelle ni sa responsabilité contractuelle ne peut être engagée » (jugement, p. 3) ;

1/ Alors que l’expert-comptable qui a reçu la mission de rédiger les bulletins de paie pour le compte de son client est tenu d’une obligation de conseil portant sur la conformité de ces bulletins aux dispositions légales et réglementaires ; qu’il doit donc attirer l’attention de son client sur le fait que le calcul de la prime d’ancienneté mise en place antérieurement à son intervention n’est pas conforme à la convention collective, afin de déterminer s’il s’agit d’une erreur qu’il convient de rectifier ou d’un usage mis en place dans l’entreprise ; qu’en l’espèce, la société Menuiserie [B] a reproché au cabinet [O] d’avoir manqué à son devoir de conseil en perpétuant le mode de calcul des primes d’ancienneté plus favorable que les dispositions de la convention collective applicable pratiqué avant son intervention sans l’avoir alertée sur ce point ; que pour rejeter son action, la cour a retenu que l’expert-comptable n’avait pas à attirer l’attention de sa cliente sur le choix fait au titre de la prime d’ancienneté qui ne correspondait pas à une erreur au début de son intervention et pour les années suivantes ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;

2/ Alors que la société Menuiserie [B] justifiait que ce que le calcul de la prime d’ancienneté était le fruit d’une erreur commise par son ancien dirigeant, M. [B], en produisant une attestation de ce dernier confirmant cette erreur ; que pour décider que cette attestation n’était pas probante, la cour a relevé qu’elle pouvait s’expliquer par les termes du protocole de cession des actions qu’il détenait dans la société [B], qui mentionnait qu’« aucun salarié, ni dirigeant ne bénéficient d’un contrat particulier et les rapports entre la société et son personnel sont uniquement régis par la législation et la réglementation en vigueur, notamment la convention collective applicable » ; qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions (p. 18) qui soutenaient que M. [B] n’avait plus aucun lien juridique ou financier avec la société [B] Menuiserie et qu’aucune garantie de passif n’avait été conclue, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

3/ Alors que tenus de motiver leur décision, les juges du fond doivent préciser les éléments de preuve sur lesquels ils se fondent ; qu’en retenant, par motifs adoptés des premiers juges, que le calcul de la prime d’ancienneté n’était pas le fruit d’une erreur commise par M. [B] mais d’une décision assumée qu’il n’était pas de la responsabilité [O] de remettre en cause, sans préciser les éléments sur lesquels elle s’est fondée pour affirmer que M. [B] avait délibérément souhaité gratifier ses salariés au-delà des prévisions de la convention collective, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

4/ Alors que le juge ne doit pas méconnaître les termes du litige ; qu’en l’espèce, la cour a retenu, pour débouter la société Menuiserie [B] de sa demande, qu’elle n’expliquait pas en quoi une information sur l’erreur de calcul de la prime d’ancienneté lui aurait permis de revenir sur l’avantage bénéficiant ainsi aux salariés ; qu’en statuant ainsi, quand la société Menuiserie [B] faisait justement valoir dans ses conclusions (p. 17) que si elle avait été informée en 2005 de l’erreur commise dans le calcul de la prime, elle aurait pu envisager de la corriger, la cour d’appel a violé l’article 4 du code de procédure civile.

 

 

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Lyon, 21 novembre 2019), la société d’expertise comptable Cabinet [O] (le cabinet [O]) a exercé pour la société Menuiserie [B] (la société [B]) différentes missions dont l’établissement des paies de 2005 à 2015.

2. Considérant que le cabinet [O] avait commis une erreur dans le calcul des primes d’ancienneté versées à ses salariés, la société [B] l’a assigné en responsabilité.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société [B] fait grief à l’arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts dirigée contre le cabinet [O], alors :

« 1°/ que l’expert-comptable qui a reçu la mission de rédiger les bulletins de paie pour le compte de son client est tenu d’une obligation de conseil portant sur la conformité de ces bulletins aux dispositions légales et réglementaires ; qu’il doit donc attirer l’attention de son client sur le fait que le calcul de la prime d’ancienneté mise en place antérieurement à son intervention n’est pas conforme à la convention collective, afin de déterminer s’il s’agit d’une erreur qu’il convient de rectifier ou d’un usage mis en place dans l’entreprise ; qu’en l’espèce, la société [B] a reproché au cabinet [O] d’avoir manqué à son devoir de conseil en perpétuant le mode de calcul des primes d’ancienneté plus favorable que les dispositions de la convention collective applicable pratiqué avant son intervention sans l’avoir alertée sur ce point ; que, pour rejeter son action, la cour d’appel a retenu que l’expert-comptable n’avait pas à attirer l’attention de sa cliente sur le choix fait au titre de la prime d’ancienneté qui ne correspondait pas à une erreur au début de son intervention et pour les années suivantes ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que la société [B] justifiait de ce que le calcul de la prime d’ancienneté était le fruit d’une erreur commise par son ancien dirigeant, M. [B], en produisant une attestation de ce dernier confirmant cette erreur ; que pour décider que cette attestation n’était pas probante, la cour d’appel a relevé qu’elle pouvait s’expliquer par les termes du protocole de cession des actions qu’il détenait dans la société [B], qui mentionnait qu' »aucun salarié, ni dirigeant ne bénéficient d’un contrat particulier et les rapports entre la société et son personnel sont uniquement régis par la législation et la réglementation en vigueur, notamment la convention collective applicable » ; qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions qui soutenaient que M. [B] n’avait plus aucun lien juridique ou financier avec la société [B] et qu’aucune garantie de passif n’avait été conclue, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que, tenus de motiver leur décision, les juges du fond doivent préciser les éléments de preuve sur lesquels ils se fondent ; qu’en retenant, par motifs adoptés des premiers juges, que le calcul de la prime d’ancienneté n’était pas le fruit d’une erreur commise par M. [B] mais d’une décision assumée qu’il n’était pas de la responsabilité du cabinet [O] de remettre en cause, sans préciser les éléments sur lesquels elle s’est fondée pour affirmer que M. [B] avait délibérément souhaité gratifier ses salariés au-delà des prévisions de la convention collective, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que le juge ne doit pas méconnaître les termes du litige ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu, pour débouter la société [B] de sa demande, qu’elle n’expliquait pas en quoi une information sur l’erreur de calcul de la prime d’ancienneté lui aurait permis de revenir sur l’avantage bénéficiant ainsi aux salariés ; qu’en statuant ainsi, quand la société [B] faisait justement valoir dans ses conclusions que, si elle avait été informée en 2005 de l’erreur commise dans le calcul de la prime, elle aurait pu envisager de la corriger, la cour d’appel a violé l’article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Après avoir constaté que le nouvel expert-comptable de la société [B] avait indiqué à celle-ci qu’elle versait à ses salariés, au moins depuis l’année 2005, une prime d’ancienneté progressive suivant leurs années de présence dans l’effectif de l’entreprise, calculée de manière proportionnelle au salaire, et non de manière forfaitaire comme prévu par la convention collective, l’arrêt relève que si le mode de calcul de la prime d’ancienneté appliqué par la société [B] n’est pas conforme à la convention collective, il est plus favorable aux salariés, et qu’il n’est pas soutenu que cet avantage correspondrait à une application illégale des textes sociaux. Il retient, par motifs propres et adoptés, que l’application de ce mode de calcul, remontant à quatre années avant l’intervention du cabinet [O], n’est pas le fruit d’une erreur, mais une décision assumée de M. [B], ancien rédacteur des bulletins de paie et dirigeant de l’entreprise jusqu’à sa cession en 2015, que le cabinet [O] n’avait pas la responsabilité de remettre en cause. Analysant les attestations établies par M. [B], il relève que celui-ci n’est pas fondé à se prévaloir d’une méconnaissance de la réglementation pour la confection par ses soins de fiches de paie, dont les modes de calcul sont précis et complexes, et qu’il ne peut pas s’exprimer au conditionnel pour expliquer au nouveau dirigeant de l’entreprise que son choix était consécutif à une erreur. Il relève en outre que les termes de la seconde attestation de M. [B] sont susceptibles de s’expliquer par le protocole de cession des actions de la société [B], qui ne signale pas la pratique antérieure et constante d’une bonification de la prime d’ancienneté.

5. En l’état de ces constatations et appréciations, abstraction faite des motifs erronés, mais surabondants, critiqués par la première branche, la cour d’appel, qui n’a pas ignoré que la société [B] soutenait qu’elle aurait pu revenir sur le calcul de la prime, mais a seulement considéré que celle-ci ne démontrait pas qu’elle aurait effectivement pu y procéder, et qui a apprécié souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, pour en déduire, par une décision motivée, sans être tenue d’entrer dans le détail de l’argumentation des parties, que l’existence du lien de causalité entre la faute de l’expert-comptable et le préjudice dont la société [B] demandait réparation n’était pas établi, n’encourt pas les griefs du moyen.

6. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Menuiserie [B] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Menuiserie [B] et la condamne à payer à la société Cabinet [O] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour la société Menuiserie [B].

Le moyen de cassation fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté la société Menuiserie [B] de sa demande de dommages-intérêts dirigée contre la société cabinet [O] ;

Aux motifs qu’« en application des articles 1134 et 1147 anciens du code civil, au regard de la date du début des rapports contractuels antérieure au 1er octobre 2016, il appartient à la société [B] de rapporter la preuve de la faute contractuelle commise par le cabinet [O] et du préjudice qui en est découlé. Aucune lettre de mission n’a été signée en 2005 concernant le volet social de l’intervention de l’expert-comptable, seuls les volets comptable et fiscal en ayant fait l’objet, mais les parties ne discutent pas que ce volet social a bien été confié au cabinet [O] dès le début de l’année 2005.
La société [B] reproche au cabinet [O] de n’avoir pas respecté des obligations qualifiées de résultat touchant au conseil, à la mise en garde, à l’alerte et à l’investigation, et de n’avoir pas réalisé d’analyse de la situation existante concernant les modalités dites erronées du calcul de la prime d’ancienneté par le système informatique mis en place par ses soins depuis l’année 2003.
Elle ajoute que le cabinet [O] est fautif pour ne pas lui avoir fait signer une nouvelle lettre de mission incluant le volet social.
Le cabinet [O] approuve les premiers juges qui ont retenu que le système de calcul déjà appliqué au moment de l’extension de sa mission au volet social correspondait à une décision assumée rendue possible du fait qu’elle était dans l’intérêt des salariés.
Il affirme n’être débiteur que d’une obligation de moyens avec pour corollaire un devoir de coopération et d’information du client, et que l’obligation de résultat invoquée par l’appelante n’est due qu’à raison du respect des délais, de tâches simples ou de l’exactitude des opérations comptables à l’exclusion des obligations générales de l’expert-comptable comme notamment celle de conseil.
Il ajoute n’être pas tenu de contrôler la conformité ou l’exactitude des décisions de sa cliente par rapport aux dispositions d’une convention collective du moment qu’elles ont été respectées et être interdit d’immixtion dans les choix de son client d’avantager ses salariés.
Il conteste enfin avoir été tenu de formaliser une nouvelle lettre de mission pour le volet social qui n’était qu’accessoire à ses missions comptables et fiscales.
Tout d’abord, la discussion lancée entre les parties sur l’absence d’une nouvelle lettre de mission concernant le volet social est inopérante à caractériser une faute de nature à provoquer le préjudice invoqué de paiement de primes d’ancienneté supérieures à celle prévue par la convention collective, qui provient selon le cabinet [O] d’une intention délibérée d’avantager les salariés et selon la société [B] d’une absence d’exécution d’une obligation de vigilance et d’information de l’expert-comptable.
Cette lettre de mission a été uniquement rendue obligatoire par l’article 151 du code de déontologie des experts-comptables depuis la parution de ce code en septembre 2007, et son absence de formalisation pour les années suivantes n’a pas pour effet d’exonérer le professionnel de toute responsabilité ni de le dispenser de ses missions fondamentales.
En l’absence d’une lettre de mission, il n’est pas établi que le cabinet [O] se voit vue confier une mission d’audit préalable.
En application de l’article 155 du code de déontologie, l’expert-comptable est en effet tenu à l’égard de son client d’un devoir de conseil dans le cadre de la mission qui lui a été confiée et doit à ce titre tenir son client régulièrement informé de l’évolution des textes, l’éclairer sur les différentes possibilités qui lui sont offertes comme le guider dans ses choix afin de lui permettre d’opter pour la solution la plus favorable à ses intérêts.
Ce professionnel n’est débiteur que d’une obligation de moyen concernant les conseils et l’information due à sa cliente, l’obligation de résultat étant attachée comme le relève le cabinet [O] à l’accomplissement dans les règles et dans les délais de ses tâches attachées à ses missions comptables, fiscales et sociales.
S’agissant de l’erreur imputée à cet expert-comptable, le cabinet [X] a indiqué dans son courrier du 28 juillet 2016 que la société [B] avait versé à ses salariés au moins depuis l’année 2005 une prime d’ancienneté progressive suivant les années de présence dans l’effectif de l’entreprise, calculée de manière proportionnelle au salaire et non forfaitairement comme prévu par la convention collective Ameublement (fabrication) IDCC 1411.
Dans son courrier du 18 avril 2016, le conseil de la société [B] relève que les calculs de la prime d’ancienneté sont non conformes à la convention collective mais plus favorables aux salariés et que ce mode de calcul était difficilement susceptible d’être remis en cause du fait qu’il s’agit d’un avantage acquis aux salariés au titre d’un usage.
Le cabinet [O] verse aux débats plusieurs fiches de paie concernant deux salariés remontant à une période antérieure au début de sa mission sociale (octobre 2000, octobre, novembre et décembre 2003, janvier à décembre 2004 pour M. [M], octobre 2000 pour MM. [B], [J], [A], [H], [F], [R], [N], [P] et [K], comme Mme [B]) qui démontrent que la convention collective n’était alors pas appliquée par M. [Y] [B] pour calculer la prime d’ancienneté.
Le propre tableau établi par le cabinet [X] pour l’année 2004, avant l’intervention du cabinet [O], établit que les salariés ont bénéficié d’une prime d’ancienneté supérieure à celle prévue par la convention collective.
Les parties ne soutiennent d’ailleurs pas que cet avantage conféré aux salariés correspondait à une application illégale des textes sociaux, et cette permanence d’application d’un calcul favorable aux salariés comme l’éventuel usage susceptible d’être mis en avant par ces derniers ne pouvaient conduire l’expert-comptable à attirer l’attention de sa cliente sur son choix fait au titre de la prime d’ancienneté qui ne correspondait pas à une erreur tant au début de son intervention que pour les années suivantes.
Dans son attestation du 6 avril 2017,M. [Y] [B], ancien dirigeant de la société [B] indique que « Directeur de la société SA [B] en 2004 et suite à la proposition d’un cabinet comptable concurrent au mien ([O] et associés) qui me faisait un meilleur tarif, la société [O] m’a proposé de prendre en charge le social qui représentait pour moi un travail important et de maintenir son tarif de l’époque. »
Dans sa seconde attestation du 15 décembre 2017, cet ancien dirigeant relate « je faisais moi-même les paies jusqu’en 2004 », que « A aucun moment je n’ai donné instruction au cabinet [O] de mettre en place une prime supérieure à la prime d’ancienneté conventionnelle légale ou de répéter une erreur de calcul que j’aurais pu faire par méconnaissance de la réglementation. » et que « ce n’est que le nouveau dirigeant [C] [T] et son nouvel expert-comptable qui m’ont signalé début 2016 une erreur que je ne peux ni dater ni expliquer l’origine. »
Cet ancien dirigeant n’était pas pertinent à se prévaloir d’une méconnaissance de la réglementation pour la confection par ses soins de fiches de paie dont les modes de calcul sont précis et complexes et ne pouvait pas s’exprimer au conditionnel pour expliquer au nouveau dirigeant de l’entreprise que son choix était consécutif à une erreur.
Les termes de la seconde attestation de M. [B] sont d’ailleurs susceptibles de s’expliquer par le protocole de cession des actions de la société [B], en partie détenues par ce dirigeant, à la société Menuiserie Jacques qui mentionnait dans son article 16 « Contrats de travail – rémunération »
« La société dépend de la convention collective Ameublement – Fabrication.
Aucun salarié, ni dirigeant ne bénéficient d’un contrat particulier et les rapports entre la société et son personnel sont uniquement régis par la législation et la réglementation en vigueur, notamment la convention collective applicable. »
termes qui ne signalaient pas la pratique antérieure et constante d’une bonification de la prime d’ancienneté.
La société [B] n’est ainsi pas fondée à reprocher au cabinet [O] d’avoir maintenu le même calcul dérogatoire dans les années suivantes, compte tenu d’une pratique remontant auparavant à environ quatre années pour plusieurs salariés, et d’avoir omis d’informer M. [B], ancien rédacteur des fiches de paie et dirigeant de l’entreprise jusqu’à la cession de 2015, sur son mode de calcul qui n’était pas irrégulier.
La société [B] n’explique pas en quoi une telle information lui aurait permis de revenir sur cet avantage consenti aux salariés dont les premiers juges ont à juste retenu qu’il n’était pas établi qu’il découlait d’une erreur.
Leur décision doit en conséquence être confirmée en ce qu’elle a débouté la société [B] de sa demande indemnitaire en l’absence de caractérisation d’une faute de l’expert-comptable » (arrêt, pp. 4 à 6) ;

Et aux motifs, à les supposer adoptés du jugement, que « Monsieur [B] a missionné le Cabinet [O] en 2005 pour réaliser les payes et la comptabilité de l’entreprise qu’il dirigeait et dont il avait lui-même mis en place et géré le système depuis 2003.
Que lors de la cession de son entreprise par Monsieur [B], le nouveau cabinet en charge de la comptabilité en remplacement du cabinet [O] a indiqué à Monsieur [B] que les primes d’ancienneté n’étaient pas calculées sur la rémunération minimum conventionnelle mais sur le salaire de base de chaque salarié ;
Que Monsieur [B] a alors assigné le cabinet [O] lui reprochant d’avoir commis une erreur ayant causé un préjudice financier sur une période allant de 2005 à 2015 et que la responsabilité civile professionnelle du cabinet était engagée ainsi que sa responsabilité contractuelle.
Attendu que le Tribunal considère dès lors que, comme observé, la décision prise en 2003 par Monsieur [B] de mettre en place un système de calcul de la prime d’ancienneté indexé sur le salaire de base et non pas sur le minimum conventionnel n’est pas une erreur mais bien une décision assumée que le cabinet [O] n’avait pas la responsabilité de remettre en cause ;
Qu’il ne peut être considéré que le cabinet [O] a failli dans son devoir de conseil dans la mesure où Monsieur [B] ne peut apporter la preuve qu’il aurait lui-même commis une erreur puisque le dirigeant de l’entreprise est en droit d’adapter le système de calcul de cette prime si celui retenu va dans le sens de l’intérêt des salariés, ce qui est le cas.
Qu’il ne peut non plus être établi un lien de causalité entre le défaut de lettre de mission relative à ce sujet et un éventuel préjudice qui en découlerait puisque la décision prise par Monsieur [B] et sa mise en application avant l’arrivée du cabinet [O] était de sa seule responsabilité et qu’elle ne consistait pas en une erreur que le cabinet [O] aurait dû découvrir.
Attendu en conséquence que le Tribunal,
Dit que le Cabinet [O] n’a pas commis de faute dans l’exercice des missions qui lui ont été confiées et qu’en conséquence, ni sa responsabilité civile professionnelle ni sa responsabilité contractuelle ne peut être engagée » (jugement, p. 3) ;

1/ Alors que l’expert-comptable qui a reçu la mission de rédiger les bulletins de paie pour le compte de son client est tenu d’une obligation de conseil portant sur la conformité de ces bulletins aux dispositions légales et réglementaires ; qu’il doit donc attirer l’attention de son client sur le fait que le calcul de la prime d’ancienneté mise en place antérieurement à son intervention n’est pas conforme à la convention collective, afin de déterminer s’il s’agit d’une erreur qu’il convient de rectifier ou d’un usage mis en place dans l’entreprise ; qu’en l’espèce, la société Menuiserie [B] a reproché au cabinet [O] d’avoir manqué à son devoir de conseil en perpétuant le mode de calcul des primes d’ancienneté plus favorable que les dispositions de la convention collective applicable pratiqué avant son intervention sans l’avoir alertée sur ce point ; que pour rejeter son action, la cour a retenu que l’expert-comptable n’avait pas à attirer l’attention de sa cliente sur le choix fait au titre de la prime d’ancienneté qui ne correspondait pas à une erreur au début de son intervention et pour les années suivantes ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;

2/ Alors que la société Menuiserie [B] justifiait que ce que le calcul de la prime d’ancienneté était le fruit d’une erreur commise par son ancien dirigeant, M. [B], en produisant une attestation de ce dernier confirmant cette erreur ; que pour décider que cette attestation n’était pas probante, la cour a relevé qu’elle pouvait s’expliquer par les termes du protocole de cession des actions qu’il détenait dans la société [B], qui mentionnait qu’« aucun salarié, ni dirigeant ne bénéficient d’un contrat particulier et les rapports entre la société et son personnel sont uniquement régis par la législation et la réglementation en vigueur, notamment la convention collective applicable » ; qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions (p. 18) qui soutenaient que M. [B] n’avait plus aucun lien juridique ou financier avec la société [B] Menuiserie et qu’aucune garantie de passif n’avait été conclue, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

3/ Alors que tenus de motiver leur décision, les juges du fond doivent préciser les éléments de preuve sur lesquels ils se fondent ; qu’en retenant, par motifs adoptés des premiers juges, que le calcul de la prime d’ancienneté n’était pas le fruit d’une erreur commise par M. [B] mais d’une décision assumée qu’il n’était pas de la responsabilité [O] de remettre en cause, sans préciser les éléments sur lesquels elle s’est fondée pour affirmer que M. [B] avait délibérément souhaité gratifier ses salariés au-delà des prévisions de la convention collective, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

4/ Alors que le juge ne doit pas méconnaître les termes du litige ; qu’en l’espèce, la cour a retenu, pour débouter la société Menuiserie [B] de sa demande, qu’elle n’expliquait pas en quoi une information sur l’erreur de calcul de la prime d’ancienneté lui aurait permis de revenir sur l’avantage bénéficiant ainsi aux salariés ; qu’en statuant ainsi, quand la société Menuiserie [B] faisait justement valoir dans ses conclusions (p. 17) que si elle avait été informée en 2005 de l’erreur commise dans le calcul de la prime, elle aurait pu envisager de la corriger, la cour d’appel a violé l’article 4 du code de procédure civile.