Litige, délai de forclusion et responsabilité de l’expert-comptable

Décision du tribunal : Cour d'appel de Douai n° 21/004413

Date : 06/10/2022

NOTRE ANALYSE

Après un contrôle fiscal, une professionnelle libérale engage la responsabilité de son expert-comptable. Un tribunal judiciaire lui donne partiellement raison. En appel, l’expiration du délai de forclusion contractuellement prévu dans la lettre de mission étant invoqué, l’appelante est déclarée irrecevable à agir. D'où la nécessité de vérifier ce délai, avant toute mise en cause d'un expert-comptable et de négocier ce point particulier, avant signature de la lettre de mission.

  1. Les faits et la procédure antérieure :

Mme [K] [J] épouse [Z] (Mme [Z]), exerçant la profession d’infirmière libérale depuis le 1er janvier 2007, a confié la tenue de sa comptabilité à l’association de gestion et de comptabilité du Nord Pas-de-Calais exerçant sous l’enseigne Cerfrance (l’association Cerfrance).

Les deux lettres de mission successives du 7 janvier et 28 juillet 2016, intitulées «’gamme gestion essentiel’», prévoyaient l’établissement de ses déclarations fiscales et sociales, outre sa déclaration de revenus.

Mme [Z] a fait l’objet d’un contrôle fiscal entre le 21 septembre et le 23 novembre 2017, lequel a conduit à son redressement fiscal pour les exercices 2015 et 2016 faute d’établissement du bilan comptable et des déclarations fiscales et sociales y afférentes.

Le 25 juin 2018, Mme [Z] s’est vu notifier par l’administration fiscale une mise en demeure de régler la somme de 28’389 euros correspondant à ses impôts sur le revenu, prélèvements sociaux et majorations fiscales pour les années 2015 et 2016.

Par acte du 25 juin 2019, Mme [Z] a fait assigner l’association Cerfrance devant le tribunal judiciaire d’Avesnes-sur-Helpe, en application des articles 1217 et 1231-1 du code civil, pour voir engager la responsabilité contractuelle de celle-ci et obtenir réparation de son préjudice financier et moral, outre le remboursement des honoraires indûment payés.

  1. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 15 juin 2021, le tribunal judiciaire d’Avesnes-sur-Helpe a :

  1. condamné l’association Cerfrance à payer la somme de 11’432 euros à titre de dommages et intérêts représentant le préjudice financier ;
  2. condamné l’association Cerfrance à payer à Mme [Z] la somme de 2’752,40 euros correspondant aux honoraires indûment versés ;
  3. débouté Mme [Z] de sa demande de réparation du préjudice moral ;
  4. condamné l’association Cerfrance au paiement d’une somme de 1’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
  5. dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.
  6. La déclaration d’appel :

Par déclaration du 9 août 2021, l’association Cerfrance a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 1, 2 et 4 ci-dessus.

  1. Les prétentions et moyens des parties :

4.1. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 9 mars 2022,

l’association Cerfrance demande à la cour, au visa des articles 122 du code de procédure civile, 1217 et 1231-1 du code civil, d’infirmer le jugement entrepris et de :

à titre principal,

– déclarer Mme [Z] irrecevable à agir pour cause de forclusion sur le fondement de l’article 122 du code de procédure civile ;

– débouter Mme [Z] de l’ensemble de ses demandes ;

à titre subsidiaire,

– rejeter l’appel incident de Mme [Z] ;

– prononcer sa mise hors de cause ;

– débouter Mme [Z] de l’ensemble de ses demandes ;

– prononcer la résolution du contrat de services du 28 juillet 2016 aux torts exclusifs de Mme [Z] ;

– fixer à la somme de 2’288 euros les dommages et intérêts consécutifs à cette résolution ;

– condamner Mme [Z] à lui payer la somme de 2’288 euros ;

en tout état de cause,

– condamner Mme [Z] à lui verser la somme de 4’000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

– condamner Mme [Z] aux entiers dépens d’appel recouvrables directement sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile par la SCP Defossez Gillardin Maison, avocats au barreau d’Avesnes-sur-Helpe.

A l’appui de ses prétentions, l’association Cerfrance fait valoir que :

– les deux lettres de mission sont assorties de conditions générales instituant un délai de forclusion de trois mois à l’expiration duquel la cliente s’interdit d’agir en responsabilité ;

– Mme [Z] a connu les conséquences de son redressement fiscal lorsqu’elle a reçu les avis de mise en recouvrement du 30 avril 2018 et la mise en demeure du 25 juin 2018 ;

– Mme [Z] n’était plus recevable à agir lorsqu’elle l’a fait assigner par acte du 25 juin 2019 ;

– Mme [Z] se signale dès 2008, puis en 2014 par un manque de rigueur et de ponctualité dans la remise des pièces à son comptable ;

– elle a adressé à sa cliente des lettres simples de mise en garde le 18 avril et 10 mai 2016 l’invitant à lui envoyer les pièces comptables manquantes pour les exercices 2015 et 2016, notamment les relevés bancaires 2015 du Crédit du Nord sans lesquels aucune comptabilisation des recettes ne pouvait être réalisée’;

– la cliente porte l’entière responsabilité de la situation de non-déclaration et des pénalités consécutives relatives à la liasse fiscale 2015, la comptabilité de 2016 pouvant difficilement être arrêtée avant celle de 2015 ;

– la situation provient de la carence persistante de la cliente à lui fournir les pièces indispensables à son travail’;

– à titre subsidiaire, les pénalités fiscales appliquées à Mme [Z] ne peuvent donner lieu qu’à la réparation de la perte de chance de les éviter’;

– Mme [Z] est mal fondée à se prévaloir de sa propre inexécution pour tenter d’obtenir le remboursement des honoraires facturés’;

– il convient de prononcer la résolution du contrat de services aux torts exclusifs de Mme [Z]’et de fixer les dommages et intérêts consécutifs à cette résolution à la somme de 2’288 euros.

4.2. Aux termes de ses conclusions notifiées le 3 mars 2022, Mme [Z],

intimée et appelante incidente, demande à la cour, au visa des articles 1217, 1231-1, 1170, 1171 du code civil, de’:

– débouter l’association Cerfrance de sa fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de la demande ;

– juger l’association Cerfrance mal fondée en son appel’;

– confirmer le jugement querellé en ce qu’il a condamné l’association Cerfrance à lui payer 11’432 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier, et 2’725,40 euros au titre des honoraires indûment versés ;

statuant à nouveau,

– condamner l’association Cerfrance à lui payer la somme de 2’000 euros en réparation de son préjudice moral’;

– condamner l’association Cerfrance à lui payer la somme de 3’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’;

– condamner l’association Cerfrance aux entiers frais et dépens, dont distraction au profit de Maître Moreau.

A l’appui de ses prétentions, Mme [Z] fait valoir que :

– respectant son obligation de coopération avec son expert -comptable, elle a toujours classé ses pièces comptables, les a transmises à l’association Cerfrance, et a réglé à bonne date les honoraires de celle-ci’;

– sans l’en informer, l’association Cerfrance n’a pas satisfait à sa mission de saisie des éléments comptables et des déclarations sociales et fiscales 2015 et 2016′;

– par courrier du 1er octobre 2018, l’association Cerfrance l’a tenue pour responsable de l’impossibilité d’exécuter la mission comptable, et l’a informée de la décision de radiation prise par son conseil d’administration le 23 juin 2017′;

– elle conteste avoir reçu les deux lettres simples de décharge du 18 avril et 10 mai 2016, qui ne concernent d’ailleurs que l’exercice 2015, et ne sont produites que pour les besoins de la cause’;

– elle s’interroge sur la raison pour laquelle l’association Cerfrance a accepté de renouveler sa mission comptable le 28 juillet 2016′;

– elle n’a pas reçu notification de la décision de radiation du 23 juin 2017 par lettre recommandée avec accusé de réception’;

– sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action, laquelle constitue un moyen nouveau soulevé pour la première fois dans les conclusions n°2 de l’appelante, la clause du contrat rappelle le délai quinquennal de prescription qui court à compter de l’achèvement de la mission, mais ajoute que l’action en responsabilité contractuelle dirigée contre l’expert-comptable doit être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client a eu connaissance du sinistre’;

– la clause litigieuse est insérée dans les conditions générales du contrat qui s’analyse en un contrat d’adhésion au sens de l’article 1171 du code civil ; elle n’a pas été mise en mesure de négocier l’insertion de cette clause ni de l’interpréter, de sorte que son caractère imprécis doit conduire la cour à en écarter l’application’;

– en adressant une mise en demeure à l’association Cerfrance dès le 23 août 2018, elle a manifesté très rapidement sa volonté d’engager la responsabilité de cette dernière moins de trois mois après la notification du redressement fiscal’;

– si l’expert-comptable est tenu envers elle d’une obligation de moyens de prudence et de diligence, cette obligation se conjugue ponctuellement avec une obligation de résultat quand il s’agit d’établir de simples déclarations fiscales ou sociales ou des déclarations de revenus, et de les déposer dans les délais légaux, l’aléa disparaissant en raison de la simplicité et de la banalité de ces actes’;

– comme chaque année, elle a remis en mains propres au responsable de l’agence d'[Localité 4] les pièces comptables relatives aux exercices 2015 et 2016′;

– les correspondances de 2008 et 2014, par lesquelles l’association Cerfrance lui réclamait communication d’éléments comptables pour les exercices 2007 et 2013, sont étrangères au présent litige’;

– l’association Cerfrance a été en mesure de lui restituer ses pièces comptables à première demande lors du contrôle fiscal, ces mêmes pièces ayant permis par la suite à la société KPMG d’établir ses bilans et déclarations fiscales 2015 et 2016′;

– l’association Cerfrance a commis une faute dans l’exécution de sa mission comptable de sorte qu’elle engage à son égard sa responsabilité contractuelle’;

– s’agissant de l’évaluation de son préjudice, les majorations et pénalités de retard appliquées par l’administration fiscale s’élèvent à la somme de 11’432 euros ;

– elle a réglé à l’association Cerfrance des honoraires de 1’354,60 euros pour l’exercice 2015 et de 1’397,80 euros pour l’exercice 2016, alors que celle-ci n’a pas honoré sa mission’;

– elle réclame une indemnisation de 2’000 euros pour réparer son préjudice moral en lien avec les désagréments consécutifs au redressement fiscal.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 25 avril 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l’action

En application de l’article 123 du code de procédure civile, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu’il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

Si la fin de non-recevoir soulevée par l’association Cerfrance afin de constater la forclusion de l’action en responsabilité contractuelle dirigée contre l’expert-comptable constitue bien une demande nouvelle en cause d’appel, elle reste pour autant recevable devant la cour en application du texte précité, bien que n’ayant pas été présentée au premier juge.

En l’espèce, suivant lettres de mission régularisées le 7 janvier 2016 et le 28 juillet 2016, Mme [Z] a confié à l’association Cerfrance sous l’intitulé «’gamme gestion essentiel’» mission d’établir son bilan comptable pour les exercices 2015 et 2016, ainsi que ses déclarations fiscales et sociales, et sa déclaration de revenus.

Mme [Z] a apposé sa signature sur les contrats, et reconnu ainsi «’connaître et détenir les fiches produits et avoir pris connaissance des conditions générales de vente de AGC Cerfrance Nord Pas-de-Calais’», et accepter celles-ci.

Ces conditions générales lui sont donc parfaitement opposables.

Elles prévoient en leur article 4 relatif aux obligations de l’association Cerfrance que la responsabilité contractuelle de celle-ci [‘] «’ne peut être engagée que dans un délai de cinq ans à compter de l’achèvement de la mission, mais doit être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre. Toutefois, nous ne pourrons être tenus responsables [‘] des retards d’exécution lorsque ceux-ci résultent d’une communication tardive des documents par le client ou de documents erronés.'[‘] »

Un délai de forclusion de trois mois a donc été contractuellement convenu entre les parties, lequel court à compter de la date à laquelle la cliente a eu connaissance du sinistre. Ce délai contractuel est un délai préfix, ou délai de forclusion, qui oblige l’adhérente à agir dans le délai de trois mois lorsqu’elle a connaissance des manquements imputables à l’expert -comptable dans l’exercice de la mission confiée.

Ce délai de forclusion prévu au contrat ne porte pas atteinte au droit d’agir en justice de Mme [Z], dès lors qu’il s’agit d’un délai suffisant pour saisir le juge. Au surplus, la clause litigieuse apparaît claire, précise et dénuée d’ambiguïté en ce qu’elle rappelle le délai légal de prescription de cinq ans tout en instaurant un délai de forclusion de trois mois à compter de la connaissance effective du sinistre par l’adhérente, et elle n’est pas sujette à interprétation. Enfin, il n’est pas démontré que cette clause crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, tel que défini à l’article 1171 du code civil.

En l’espèce, Mme [Z] a eu connaissance de son redressement fiscal pour n’avoir pas produit ses documents comptables obligatoires pour les exercices clos au 31 décembre 2015 et au 31 décembre 2016, et ce par l’envoi d’un avis de mise en recouvrement le 30 avril 2018, puis d’une mise en demeure de payer adressée le 25 juin 2018 par l’administration fiscale.

Si Mme [Z] a interrogé, par l’entremise de son conseil, l’association Cerfrance par lettre recommandée du 23 août 2018 sur les raisons ayant conduit à l’absence d’établissement de ses bilans comptables pour les années 2015 et 2016, outre des déclarations fiscales et sociales y afférentes, elle a introduit son action en justice contre celle-ci par assignation du 25 juin 2019, alors que le délai de forclusion de trois mois qui lui était imparti était expiré depuis le 25 septembre 2018.

Il s’ensuit que Mme [Z] est, pour cause de forclusion, irrecevable à agir en responsabilité contractuelle contre l’association Cerfrance.

Il convient d’infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens de l’arrêt conduit à infirmer le jugement querellé sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance.

Mme [Z] qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel.

L’équité commande de la condamner à payer à l’association Cerfrance une somme de 2’000 euros à titre d’indemnité de procédure de première instance et d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

En application de l’article 699 du code de procédure civile, la cour autorisera la SCP Defossez Gillardin Maison, avocats au barreau d’Avesnes-sur-Helpe, à recouvrer directement contre la personne condamnée les dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par mise à disposition au greffe, publiquement et contradictoirement,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 juin 2021 par le tribunal judiciaire d’Avesnes-sur-Helpe ;

Prononçant à nouveau, et y ajoutant,

Déclare Mme [K] [J] épouse [Z] irrecevable à agir à l’encontre de l’association de gestion et de comptabilité du Nord Pas-de-Calais exerçant sous l’enseigne Cerfrance pour cause de forclusion ;

Condamne Mme [K] [J] épouse [Z] aux dépens de première instance et d’appel ;

Dit qu’en application de l’article 699 du code de procédure civile, la SCP Defossez Gillardin Maison, avocats au barreau d’Avesnes-sur-Helpe, recouvrera directement contre Mme [K] [J] épouse [Z] les dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision ;

Condamne en outre Mme [K] [J] épouse [Z] à payer à l’association de gestion et de comptabilité du Nord Pas-de-Calais exerçant sous l’enseigne Cerfrance la somme de 2’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

  1. Les faits et la procédure antérieure :

Mme [K] [J] épouse [Z] (Mme [Z]), exerçant la profession d’infirmière libérale depuis le 1er janvier 2007, a confié la tenue de sa comptabilité à l’association de gestion et de comptabilité du Nord Pas-de-Calais exerçant sous l’enseigne Cerfrance (l’association Cerfrance).

Les deux lettres de mission successives du 7 janvier et 28 juillet 2016, intitulées «’gamme gestion essentiel’», prévoyaient l’établissement de ses déclarations fiscales et sociales, outre sa déclaration de revenus.

Mme [Z] a fait l’objet d’un contrôle fiscal entre le 21 septembre et le 23 novembre 2017, lequel a conduit à son redressement fiscal pour les exercices 2015 et 2016 faute d’établissement du bilan comptable et des déclarations fiscales et sociales y afférentes.

Le 25 juin 2018, Mme [Z] s’est vu notifier par l’administration fiscale une mise en demeure de régler la somme de 28’389 euros correspondant à ses impôts sur le revenu, prélèvements sociaux et majorations fiscales pour les années 2015 et 2016.

Par acte du 25 juin 2019, Mme [Z] a fait assigner l’association Cerfrance devant le tribunal judiciaire d’Avesnes-sur-Helpe, en application des articles 1217 et 1231-1 du code civil, pour voir engager la responsabilité contractuelle de celle-ci et obtenir réparation de son préjudice financier et moral, outre le remboursement des honoraires indûment payés.

  1. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 15 juin 2021, le tribunal judiciaire d’Avesnes-sur-Helpe a :

  1. condamné l’association Cerfrance à payer la somme de 11’432 euros à titre de dommages et intérêts représentant le préjudice financier ;
  2. condamné l’association Cerfrance à payer à Mme [Z] la somme de 2’752,40 euros correspondant aux honoraires indûment versés ;
  3. débouté Mme [Z] de sa demande de réparation du préjudice moral ;
  4. condamné l’association Cerfrance au paiement d’une somme de 1’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
  5. dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.
  6. La déclaration d’appel :

Par déclaration du 9 août 2021, l’association Cerfrance a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 1, 2 et 4 ci-dessus.

  1. Les prétentions et moyens des parties :

4.1. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 9 mars 2022,

l’association Cerfrance demande à la cour, au visa des articles 122 du code de procédure civile, 1217 et 1231-1 du code civil, d’infirmer le jugement entrepris et de :

à titre principal,

– déclarer Mme [Z] irrecevable à agir pour cause de forclusion sur le fondement de l’article 122 du code de procédure civile ;

– débouter Mme [Z] de l’ensemble de ses demandes ;

à titre subsidiaire,

– rejeter l’appel incident de Mme [Z] ;

– prononcer sa mise hors de cause ;

– débouter Mme [Z] de l’ensemble de ses demandes ;

– prononcer la résolution du contrat de services du 28 juillet 2016 aux torts exclusifs de Mme [Z] ;

– fixer à la somme de 2’288 euros les dommages et intérêts consécutifs à cette résolution ;

– condamner Mme [Z] à lui payer la somme de 2’288 euros ;

en tout état de cause,

– condamner Mme [Z] à lui verser la somme de 4’000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

– condamner Mme [Z] aux entiers dépens d’appel recouvrables directement sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile par la SCP Defossez Gillardin Maison, avocats au barreau d’Avesnes-sur-Helpe.

A l’appui de ses prétentions, l’association Cerfrance fait valoir que :

– les deux lettres de mission sont assorties de conditions générales instituant un délai de forclusion de trois mois à l’expiration duquel la cliente s’interdit d’agir en responsabilité ;

– Mme [Z] a connu les conséquences de son redressement fiscal lorsqu’elle a reçu les avis de mise en recouvrement du 30 avril 2018 et la mise en demeure du 25 juin 2018 ;

– Mme [Z] n’était plus recevable à agir lorsqu’elle l’a fait assigner par acte du 25 juin 2019 ;

– Mme [Z] se signale dès 2008, puis en 2014 par un manque de rigueur et de ponctualité dans la remise des pièces à son comptable ;

– elle a adressé à sa cliente des lettres simples de mise en garde le 18 avril et 10 mai 2016 l’invitant à lui envoyer les pièces comptables manquantes pour les exercices 2015 et 2016, notamment les relevés bancaires 2015 du Crédit du Nord sans lesquels aucune comptabilisation des recettes ne pouvait être réalisée’;

– la cliente porte l’entière responsabilité de la situation de non-déclaration et des pénalités consécutives relatives à la liasse fiscale 2015, la comptabilité de 2016 pouvant difficilement être arrêtée avant celle de 2015 ;

– la situation provient de la carence persistante de la cliente à lui fournir les pièces indispensables à son travail’;

– à titre subsidiaire, les pénalités fiscales appliquées à Mme [Z] ne peuvent donner lieu qu’à la réparation de la perte de chance de les éviter’;

– Mme [Z] est mal fondée à se prévaloir de sa propre inexécution pour tenter d’obtenir le remboursement des honoraires facturés’;

– il convient de prononcer la résolution du contrat de services aux torts exclusifs de Mme [Z]’et de fixer les dommages et intérêts consécutifs à cette résolution à la somme de 2’288 euros.

4.2. Aux termes de ses conclusions notifiées le 3 mars 2022, Mme [Z],

intimée et appelante incidente, demande à la cour, au visa des articles 1217, 1231-1, 1170, 1171 du code civil, de’:

– débouter l’association Cerfrance de sa fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de la demande ;

– juger l’association Cerfrance mal fondée en son appel’;

– confirmer le jugement querellé en ce qu’il a condamné l’association Cerfrance à lui payer 11’432 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier, et 2’725,40 euros au titre des honoraires indûment versés ;

statuant à nouveau,

– condamner l’association Cerfrance à lui payer la somme de 2’000 euros en réparation de son préjudice moral’;

– condamner l’association Cerfrance à lui payer la somme de 3’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’;

– condamner l’association Cerfrance aux entiers frais et dépens, dont distraction au profit de Maître Moreau.

A l’appui de ses prétentions, Mme [Z] fait valoir que :

– respectant son obligation de coopération avec son expert -comptable, elle a toujours classé ses pièces comptables, les a transmises à l’association Cerfrance, et a réglé à bonne date les honoraires de celle-ci’;

– sans l’en informer, l’association Cerfrance n’a pas satisfait à sa mission de saisie des éléments comptables et des déclarations sociales et fiscales 2015 et 2016′;

– par courrier du 1er octobre 2018, l’association Cerfrance l’a tenue pour responsable de l’impossibilité d’exécuter la mission comptable, et l’a informée de la décision de radiation prise par son conseil d’administration le 23 juin 2017′;

– elle conteste avoir reçu les deux lettres simples de décharge du 18 avril et 10 mai 2016, qui ne concernent d’ailleurs que l’exercice 2015, et ne sont produites que pour les besoins de la cause’;

– elle s’interroge sur la raison pour laquelle l’association Cerfrance a accepté de renouveler sa mission comptable le 28 juillet 2016′;

– elle n’a pas reçu notification de la décision de radiation du 23 juin 2017 par lettre recommandée avec accusé de réception’;

– sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action, laquelle constitue un moyen nouveau soulevé pour la première fois dans les conclusions n°2 de l’appelante, la clause du contrat rappelle le délai quinquennal de prescription qui court à compter de l’achèvement de la mission, mais ajoute que l’action en responsabilité contractuelle dirigée contre l’expert-comptable doit être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client a eu connaissance du sinistre’;

– la clause litigieuse est insérée dans les conditions générales du contrat qui s’analyse en un contrat d’adhésion au sens de l’article 1171 du code civil ; elle n’a pas été mise en mesure de négocier l’insertion de cette clause ni de l’interpréter, de sorte que son caractère imprécis doit conduire la cour à en écarter l’application’;

– en adressant une mise en demeure à l’association Cerfrance dès le 23 août 2018, elle a manifesté très rapidement sa volonté d’engager la responsabilité de cette dernière moins de trois mois après la notification du redressement fiscal’;

– si l’expert-comptable est tenu envers elle d’une obligation de moyens de prudence et de diligence, cette obligation se conjugue ponctuellement avec une obligation de résultat quand il s’agit d’établir de simples déclarations fiscales ou sociales ou des déclarations de revenus, et de les déposer dans les délais légaux, l’aléa disparaissant en raison de la simplicité et de la banalité de ces actes’;

– comme chaque année, elle a remis en mains propres au responsable de l’agence d'[Localité 4] les pièces comptables relatives aux exercices 2015 et 2016′;

– les correspondances de 2008 et 2014, par lesquelles l’association Cerfrance lui réclamait communication d’éléments comptables pour les exercices 2007 et 2013, sont étrangères au présent litige’;

– l’association Cerfrance a été en mesure de lui restituer ses pièces comptables à première demande lors du contrôle fiscal, ces mêmes pièces ayant permis par la suite à la société KPMG d’établir ses bilans et déclarations fiscales 2015 et 2016′;

– l’association Cerfrance a commis une faute dans l’exécution de sa mission comptable de sorte qu’elle engage à son égard sa responsabilité contractuelle’;

– s’agissant de l’évaluation de son préjudice, les majorations et pénalités de retard appliquées par l’administration fiscale s’élèvent à la somme de 11’432 euros ;

– elle a réglé à l’association Cerfrance des honoraires de 1’354,60 euros pour l’exercice 2015 et de 1’397,80 euros pour l’exercice 2016, alors que celle-ci n’a pas honoré sa mission’;

– elle réclame une indemnisation de 2’000 euros pour réparer son préjudice moral en lien avec les désagréments consécutifs au redressement fiscal.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 25 avril 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l’action

En application de l’article 123 du code de procédure civile, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu’il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

Si la fin de non-recevoir soulevée par l’association Cerfrance afin de constater la forclusion de l’action en responsabilité contractuelle dirigée contre l’expert-comptable constitue bien une demande nouvelle en cause d’appel, elle reste pour autant recevable devant la cour en application du texte précité, bien que n’ayant pas été présentée au premier juge.

En l’espèce, suivant lettres de mission régularisées le 7 janvier 2016 et le 28 juillet 2016, Mme [Z] a confié à l’association Cerfrance sous l’intitulé «’gamme gestion essentiel’» mission d’établir son bilan comptable pour les exercices 2015 et 2016, ainsi que ses déclarations fiscales et sociales, et sa déclaration de revenus.

Mme [Z] a apposé sa signature sur les contrats, et reconnu ainsi «’connaître et détenir les fiches produits et avoir pris connaissance des conditions générales de vente de AGC Cerfrance Nord Pas-de-Calais’», et accepter celles-ci.

Ces conditions générales lui sont donc parfaitement opposables.

Elles prévoient en leur article 4 relatif aux obligations de l’association Cerfrance que la responsabilité contractuelle de celle-ci [‘] «’ne peut être engagée que dans un délai de cinq ans à compter de l’achèvement de la mission, mais doit être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre. Toutefois, nous ne pourrons être tenus responsables [‘] des retards d’exécution lorsque ceux-ci résultent d’une communication tardive des documents par le client ou de documents erronés.'[‘] »

Un délai de forclusion de trois mois a donc été contractuellement convenu entre les parties, lequel court à compter de la date à laquelle la cliente a eu connaissance du sinistre. Ce délai contractuel est un délai préfix, ou délai de forclusion, qui oblige l’adhérente à agir dans le délai de trois mois lorsqu’elle a connaissance des manquements imputables à l’expert -comptable dans l’exercice de la mission confiée.

Ce délai de forclusion prévu au contrat ne porte pas atteinte au droit d’agir en justice de Mme [Z], dès lors qu’il s’agit d’un délai suffisant pour saisir le juge. Au surplus, la clause litigieuse apparaît claire, précise et dénuée d’ambiguïté en ce qu’elle rappelle le délai légal de prescription de cinq ans tout en instaurant un délai de forclusion de trois mois à compter de la connaissance effective du sinistre par l’adhérente, et elle n’est pas sujette à interprétation. Enfin, il n’est pas démontré que cette clause crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, tel que défini à l’article 1171 du code civil.

En l’espèce, Mme [Z] a eu connaissance de son redressement fiscal pour n’avoir pas produit ses documents comptables obligatoires pour les exercices clos au 31 décembre 2015 et au 31 décembre 2016, et ce par l’envoi d’un avis de mise en recouvrement le 30 avril 2018, puis d’une mise en demeure de payer adressée le 25 juin 2018 par l’administration fiscale.

Si Mme [Z] a interrogé, par l’entremise de son conseil, l’association Cerfrance par lettre recommandée du 23 août 2018 sur les raisons ayant conduit à l’absence d’établissement de ses bilans comptables pour les années 2015 et 2016, outre des déclarations fiscales et sociales y afférentes, elle a introduit son action en justice contre celle-ci par assignation du 25 juin 2019, alors que le délai de forclusion de trois mois qui lui était imparti était expiré depuis le 25 septembre 2018.

Il s’ensuit que Mme [Z] est, pour cause de forclusion, irrecevable à agir en responsabilité contractuelle contre l’association Cerfrance.

Il convient d’infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens de l’arrêt conduit à infirmer le jugement querellé sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance.

Mme [Z] qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel.

L’équité commande de la condamner à payer à l’association Cerfrance une somme de 2’000 euros à titre d’indemnité de procédure de première instance et d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

En application de l’article 699 du code de procédure civile, la cour autorisera la SCP Defossez Gillardin Maison, avocats au barreau d’Avesnes-sur-Helpe, à recouvrer directement contre la personne condamnée les dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par mise à disposition au greffe, publiquement et contradictoirement,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 juin 2021 par le tribunal judiciaire d’Avesnes-sur-Helpe ;

Prononçant à nouveau, et y ajoutant,

Déclare Mme [K] [J] épouse [Z] irrecevable à agir à l’encontre de l’association de gestion et de comptabilité du Nord Pas-de-Calais exerçant sous l’enseigne Cerfrance pour cause de forclusion ;

Condamne Mme [K] [J] épouse [Z] aux dépens de première instance et d’appel ;

Dit qu’en application de l’article 699 du code de procédure civile, la SCP Defossez Gillardin Maison, avocats au barreau d’Avesnes-sur-Helpe, recouvrera directement contre Mme [K] [J] épouse [Z] les dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision ;

Condamne en outre Mme [K] [J] épouse [Z] à payer à l’association de gestion et de comptabilité du Nord Pas-de-Calais exerçant sous l’enseigne Cerfrance la somme de 2’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.