Détournement de fonds et responsabilité des professionnels du chiffre

Décision du tribunal : Cour d’appel de Bordeaux n° 18/03285

Date : 31/03/2021

NOTRE ANALYSE

En raison de détournements de fonds, la responsabilité d’un expert-comptable et d’un commissaire aux comptes est reconnue par un tribunal de commerce. Bien que les fautes de ces professionnels aient été établies à des degrés divers, la Cour d’appel décide que le lien de causalité entre ces fautes et le préjudice subi ne permet pas d’indemniser l’entreprise. D’autant qu’elle-même n’est pas exempte de tout reproche en matière de mise en place d’un contrôle interne et que les détournements ont été remboursés. En conséquence de ce jugement, que d’aucuns considèreront comme difficile à aborder, l’entreprise est déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS Daumont exploite au Barp (33) un magasin super U. Elle avait pour expert-comptable la SARLU BXA Bordeaux Expertise et Audit avec, selon lettre du 28 novembre 2008, une mission de présentation de ses comptes annuels et d’établissement des déclarations comptables. Elle avait comme commissaire aux comptes à compter de l’exercice 2007 la SARL 3G Audit. Invoquant la découverte d’anomalies comptables après le licenciement pour faute grave de la comptable, Mme X, en octobre 2013 et l’embauche d’un nouveau comptable, elle a déposé plainte contre cette ex salariée pour escroquerie et détournement de fonds. Mme X a été déclarée coupable par le tribunal correctionnel de Bordeaux du 27 juin 2016 et, sur intérêts civils, condamnée à payer à la société Daumont la somme de 83 862,82 euros à titre de dommages et intérêts. Considérant que tant son expert-comptable que son commissaire aux comptes avaient manqué à leurs obligations ne lui permettant pas ainsi de déceler les détournements commis à son préjudice, la société Daumont a, par acte du 21 janvier 2016, fait assigner la société 3G Audit, la société BXA ainsi que son assureur la société MMA IARD devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement à titre principal de la somme de 83 862,82 euros.

Par jugement du 26 avril 2018, le tribunal a, en substance :

– condamné solidairement la société BXA et son assureur la société MMA ainsi que la société 3G Audit à payer à la société Daumont la somme de 65 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– débouté la société Daumont de sa demande indemnitaire relative au temps passé par son comptable,

– condamné la société Daumont à payer à la société BXA la somme de 11 760 euros,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– ordonné l’exécution provisoire sous réserve de la constitution par la société Daumont d’une caution de 65 000 euros,

– condamné solidairement la société BXA et son assureur la société MMA ainsi que la société 3G Audit à payer à la société Daumont la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné solidairement la société BXA et son assureur la société MMA ainsi que la société 3G Audit aux dépens.

La société BXA et la société MMA ont relevé appel de la décision le 7 juin 2018, énonçant dans leur déclaration les chefs critiqués du jugement et intimant la société Daumont. La société 3G Audit a relevé appel de la décision le 8 juin 2018, énonçant dans sa déclaration les chefs critiqués du jugement et intimant la société Daumont, la société BXA et la société MMA.

Les dossiers ont fait l’objet d’une jonction. Une mesure de médiation a été proposée aux parties mais n’a pu recueillir leur accord.

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans leurs dernières écritures en date du 9 février 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la société BXA et son assureur les MMA demandent à la cour de : Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 26 avril 2018 en ce qu’il a :

– Dit que la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles ès-qualité d’assureur de de cette dernière et la société 3G Audit SARL ont commis une faute ayant pour conséquence la perte de chance pour la société Daumont SAS de faire cesser les détournements de fonds,                                                                                                                                                                                                – Condamné solidairement la société la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU et son assureur MMA IARD Assurances Mutuelles d’une part et la société 3G Audit SARL d’autre part, à payer à la société Daumont SAS la somme de 65 000 euros outre intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement,                                                                                                                                                                      – Condamné solidairement la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles ès-qualité d’assureur de de cette dernière et la société 3G Audit SARL à payer à la société Daumont SAS la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,                                                                                                                                                            – Condamné solidairement la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles ès-qualité d’assureur de de cette dernière et la société 3G Audit SARL aux dépens ».

Statuant à nouveau,                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           – Débouter la société Daumont de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions, à l’encontre de la société BXA Expertise & Audit                                                                                                                                                  – Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 26 avril 2018 en ce qu’il a :                                                                                                                                                                                                     – Débouté la société Daumont SAS de sa demande indemnitaire relative au temps passé par son comptable,                                                                                                                                                                                             – Condamné la société Daumont SAS à payer à la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU la somme de 11 760 euros.

Y ajoutant :

– Condamner la société Daumont à payer à la société BXA Bordeaux Expertise & Audit une indemnité de 5 000 sur le fondement de l’article 700 du CPC;                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 – Condamner la société Daumont aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Elle fait valoir que la demande de la société Daumont est dépourvue d’objet puisqu’elle a été indemnisée des détournements par un paiement du notaire des époux X. Pour le surplus, elle précise n’être tenue que d’une obligation de moyens dans l’accomplissement de sa mission et conteste avoir commis une faute, les détournements ayant été réalisés par une salariée de la société Daumont que ses dirigeants avaient recrutée et qu’ils devaient contrôler. Elle précise que les contrôles spécifiques n’entraient pas dans sa mission et que les détournements n’étaient pas décelables dans le cadre qui était le sien. Elle ajoute avoir satisfait à son obligation de conseil en sollicitant des informations auprès du dirigeant ce qui l’alertait sur les anomalies comptables. Elle se prévaut d’une clause d’exclusion de responsabilité. Elle conteste qu’il subsiste un préjudice indemnisable et ajoute qu’il ne pourrait se limiter qu’à une perte de chance de ne pas subir les conséquences annexes des fraudes de la préposée.

Dans ses dernières écritures en date du 1er février 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la société 3G Audit demande à la cour de :

D’infirmer le jugement en ce qu’il :                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                – Dit que la société BXA Bordeaux Expertise et Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles ès qualité d’assureur de cette dernière et la société 3G Audit SARL ont commis une faute ayant pour conséquence la perte de chance pour la société Daumont SAS de faire cesser les détournements de fonds.                                                                                                                                                                                                – Condamne solidairement la société BXA Bordeaux Expertise et Audit SASU et son assureur MMA IARD Assurances Mutuelles d’une part et la société 3G Audit SARL d’autre part à payer à la société DAUMONT SAS la somme de 65 000 euros outre intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement.                                                                                                                                                                  – Déboute la société Daumont SAS de sa demande indemnitaire relative au temps passé par son comptable.                                                                                                                                                                                            – Déboute les parties du reste de leurs demandes;

– Ordonne l’exécution provisoire sous réserve que la société Daumont SAS constitue valable caution à concurrence de 65 000 euros :                                                                                                                                            – Condamne solidairement la société BXA Bordeaux Expertise et Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles ès qualité d’assureur de cette dernière et la société 3G Audit SARL à payer à la société Daumont SAS la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   – Condamne solidairement la société BXA Bordeaux Expertise et Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles ès qualité d’assureur de cette dernière et la société 3G Audit aux dépens.

En conséquence, statuant à nouveau :                                                                                                                                                                                                                                                                                                                        A titre principal :

– Juger que la société 3G Audit n’a commis aucune faute dans le cadre de sa mission de commissariat aux comptes de la société Daumont ;                                                                                                                                En conséquence :

– Débouter la société Daumont de son appel incident et plus généralement de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;                                                                                                                                            Subsidiairement :

– Juger que la société Daumont a commis une faute de nature à exonérer la société 3G Audit de toute responsabilité

– Juger que la société Daumont ne justifie d’aucun préjudice indemnisable, son préjudice ayant été intégralement réparé par jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux ;

– Juger que le préjudice allégué par la société Daumont qui consisterait à avoir été privé de la chance de déceler les détournements plus tôt ne pourrait être réparé que sur la base d’une perte de chance et uniquement sur la période du 12 juin 2013 au 31 octobre 2013 ;

En conséquence :                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               – Débouter la société Daumont de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause :

– Condamner la société Daumont à payer à la société 3G Audit la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la société Daumont aux entiers dépens de la présente instance et recouvrement en application de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Maître Michel Puybaraud.

Elle s’explique sur sa mission, rappelle n’être tenue qu’à une obligation de moyens et fait valoir que le seul constat d’irrégularités est insuffisant pour établir sa responsabilité. Elle soutient qu’il ne lui appartenait pas de vérifier la bonne tenue de la comptabilité et qu’elle a bien alerté la société Daumont sur les anomalies de comptabilisation des factures fournisseurs. Elle considère que les anomalies n’étaient pas significatives et qu’elle avait procédé à une circularisation auprès des fournisseurs. Elle ajoute qu’il ne lui appartenait pas de se substituer au chef d’entreprise quant au contrôle interne.

Subsidiairement, elle considère que la faute de la société Daumont qui n’a exercé aucun contrôle est exonératoire de responsabilité. Quant au préjudice, elle fait valoir qu’elle ne pourrait être tenue que de la période entre 12 juin 2013 et 31 octobre 2013 compte tenu du mécanisme de certification des comptes et que la société Daumont en a été intégralement indemnisée. Elle conteste le quantum des demandes.

Dans ses dernières écritures en date du 3 avril 2019, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la société Daumont demande à la cour de :

Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux, en date du 26 avril 2018 en ce qu’il a :

– Dit que la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles ès qualité d’assureur de cette dernière et la société 3G Audit SARL ont commis une faute ayant pour conséquence la perte de chance pour la société Daumont SAS de faire cesser les détournements ;

– Condamné solidairement la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société 3G Audit SARL à payer la somme de 65 000 euros à la SAS Daumont, outre intérêt légal à compter de la signification du jugement en date du 26/04/2018 ;

– Rejeté la demande de la SARL 3G Audit d’être substituée dans tous les droits que détient la SAS Daumont à l’égard des époux X à due concurrence de sa condamnation au titre de la perte de chance ;

– Condamné solidairement la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société 3G Audit SARL à payer la somme de 5 000 euros à la SAS Daumont, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné solidairement la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société 3G Audit SARL aux dépens, dont frais de greffe liquidés à la somme de 129,24 euros et dont TVA pour 21,54 euros ;

Y ajoutant :

– Constater que les fautes professionnelles des sociétés BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société 3G Audit SARL ont eu pour conséquence la perte de chance pour la SAS Daumont de ne subir aucun détournement ;

– Condamner solidairement la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société 3G Audit SARL à payer la somme de 5 000 euros à la SAS Daumont, sur le fondement de  l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner solidairement la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société 3G Audit SARL aux entiers dépens résultant de la présente instance ;

– Constater que la SAS Daumont s’est acquittée de sa dette de 11 760 euros auprès de la SAS BXA.

Elle fait valoir que Mme X a été licenciée avant la découverte des anomalies et pour de tout autres motifs. Elle soutient que chacun des professionnels du chiffre a manqué à ses obligations alors qu’ils auraient dû l’alerter sur les anomalies comptables. Elle conteste la clause limitative de responsabilité faisant valoir qu’elle ne saurait concerner que des fautes légères commises par l’expert-comptable. Elle s’explique sur les manquements reprochés à chacun des appelants et conteste avoir commis une faute. Sur le préjudice, elle fait valoir qu’il s’agit d’une perte de chance de mettre un terme aux détournements et ajoute qu’elle n’entend pas remettre en cause la somme retenue par le tribunal, une perte de chance n’ayant pas vocation à couvrir l’intégralité de la perte subie. Elle invoque le temps passé par son nouveau comptable et les démarches judiciaires qui ont dû être les siennes.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 17 février 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Si la société Daumont vise à la fois les dispositions des articles 1147 et 1382 du code civil, dans leur version applicable aux faits de l’espèce, ce qui heurte le principe de non cumul, il est manifeste que son action dirigée contre les professionnels du chiffre à qui elle avait confié respectivement la mission de présentation de ses comptes, établissement des déclarations comptables et d’audit de ses comptes annuels, est une action en responsabilité contractuelle.

Il incombe à la société Daumont d’établir la preuve d’une faute de chacun de ces professionnels et d’un préjudice en découlant dans un lien de causalité.

Des énonciations du jugement pénal définitif, il résulte que Mme X, comptable salariée de la société Daumont, a été reconnue coupable d’abus de confiance pour des faits commis entre mars 2012 et le 31 octobre 2013. Sur intérêts civils, Mme X a été condamnée à payer à la société Daumont la somme de 83 862,82 euros au titre des détournements outre 800 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Daumont s’est toujours placée sur le terrain d’une perte de chance de découvrir plus tôt les détournements et donc de ne pas en subir tout ou partie.

Il est certain, si les fautes sont établies, qu’il peut exister un préjudice de nature différente de celui des détournements eux-mêmes et qui procède de cette perte de chance. Toutefois, l’appelante a, à tout le moins, entretenu une certaine confusion en calquant exactement sa demande de première instance sur le montant des détournements, en précisant devant la cour qu’elle sollicitait la confirmation du jugement en ayant conscience que l’indemnisation d’un préjudice résultant de la perte de chance n’a pas vocation à couvrir l’intégralité de la perte subie et en ramenant en permanence la discussion au montant des détournements.

Il est admis que pendant la procédure d’appel les fonds objet du détournement ont bien été remboursés. Cela n’épuise certes pas le débat puisqu’il peut subsister un préjudice distinct tenant à la période pendant laquelle les détournements ont existé et n’étaient pas remboursés ainsi que les préjudices annexes constitués par la mise en lumière de ces faits.

Cependant, cela ne peut, contrairement aux affirmations de l’appelante, être considéré comme indifférent.

Sur la faute, il convient d’apprécier distinctement la situation de l’expert-comptable et celle du commissaire aux comptes, leurs missions étant différentes. De manière commune, il convient de rappeler que les détournements ont eu lieu, au vu des pièces de la société Daumont, entre le 2 avril 2012 et le 16 octobre 2013, date de sa mise à pied, étant rappelé que Mme X avait été embauchée le 27 février 2012. Les détournements étaient constitués majoritairement par des chèques établis à son profit ou au profit de son mari. Plus marginalement, il existait des chèques établis au bénéfice d’un tiers en règlement d’une prestation et quelques virements.

Les montants étaient compris entre 1 191 euros et 4 514 euros.

L’expert-comptable,

Aux termes de la lettre de mission, l’expert-comptable était chargé de la présentation des comptes annuels et de l’établissement des déclarations afférentes aux comptes de l’entreprise.

De cette mission, en particulier de présentation des comptes annuels, il découle que l’expert-comptable s’assure de la cohérence et la vraisemblance de la comptabilité.

L’intimée considère que son expert-comptable aurait dû l’alerter sur un certain nombre d’anomalies et qu’elle aurait ainsi pu découvrir plus tôt les détournements. Il apparaît cependant que l’ensemble des détournements pour chacun des exercices concernés représentaient environ 0,40% des achats de sorte qu’ils n’étaient pas nécessairement apparents alors que la mission de l’expert-comptable ne portait pas spécifiquement sur la recherche des erreurs ou fraudes. En toute hypothèse des sondages aléatoires pouvaient ne rien laisser apparaître sans faute de l’expert-comptable compte tenu du ratio ci-dessus.

L’intimée fait toutefois valoir que certaines défaillances de sa comptable salariée avaient pu être décelées et que si elle avait été alertée plus tôt, elle aurait ainsi pu faire cesser les détournements même si les anomalies constatées étaient étrangères à ces détournements. Ceci est en premier lieu quelque peu indirect. Mais surtout, il apparaît, que l’expert-comptable avait bien adressé certaines alertes à la société Daumont en sollicitant en particulier et ce dès juillet 2012 le tableau des marges. Pour considérer que ces alertes étaient inopérantes, l’intimée fait valoir qu’elles étaient adressées à la comptable alors que le dirigeant n’était qu’en copie. Il n’en demeure pas moins que la copie lui était adressée et pouvait lui permettre de procéder à certains contrôles. Or, tel n’était absolument pas le cas. Il n’est fait état d’aucun contrôle par la société sur les agissements de Mme X qui a commis ses premiers détournements alors qu’elle était encore en période d’essai. Cette situation de total absence de contrôle a d’ailleurs perduré puisqu’il résulte de l’audition du nouveau comptable de la société, alors que les détournements avaient été découverts, qu’il n’existait pas davantage de contrôle. Le nouveau comptable déclarait ainsi que le représentant légal de la société ne connaissait pas les procédures pour les virements, faisait confiance au comptable salarié et ignorait même le nombre de chéquiers qu’il détenait.

Il apparaît que Mme X avait procédé à des fausses saisies comptables pour masquer ses détournements. Mais il est cependant exact qu’un règlement a été enregistré sans création d’une ligne comptable et que certains détournements ont été réalisés en un seul paiement censé régler plusieurs fournisseurs. De telles anomalies auraient donc pu être détectées et ce d’autant plus que le nouveau comptable salarié de la société a pu très rapidement constater les détournements.

Le commissaire aux comptes

Sa mission procède des dispositions des articles L 823-9 et suivants du code de commerce et des normes d’exercice professionnel.

Contrairement aux énonciations des premiers juges, il n’y a pas lieu de retenir que la mission du commissaire aux comptes aurait dû être renforcée en 2012 à l’arrivée d’une nouvelle comptable. Il s’agissait en effet de l’organisation interne de la société Daumont, sa cliente, laquelle n’avait, ainsi que rappelé ci-dessus, mis en place aucun contrôle spécifique de sa préposée. Or, dans sa mission de certification le commissaire aux comptes a certes une obligation de vérification des documents comptable qui lui sont présentés mais à l’exclusion de toute immixtion.

La certification des comptes correspond dès lors à la notion d’une assurance raisonnable de l’absence d’anomalies significatives.

En l’espèce, le volume des détournements représentait 0,40% des achats de sorte qu’il ne pouvait être considéré qu’il s’agissait d’une anomalie significative et que les vérifications par sondage devaient raisonnablement emporter leur découverte.

L’intimée fait certes observer qu’il existait certaines anomalies dans le suivi de circularisation et que par ailleurs elle n’avait pas été alertée sur les carences de son contrôle interne. Ces points sont exacts et pouvaient constituer des éléments de vigilance qui n’ont cependant pas été rappelés dans le rapport du commissaire aux comptes. Ceci est d’autant plus le cas que la lettre de mission contenait bien une rubrique au titre de l’évaluation du contrôle interne, lequel était manifestement inexistant.

Il peut ainsi être retenu une faute de chacun des professionnels du chiffre.

Mais sur les conséquences que ce soit au titre de l’intervention de l’expert-comptable ou de celle du commissaire aux comptes, il ne peut être constaté de préjudice indemnisable c’est-à-dire en lien de causalité avec ces interventions et ce sans même qu’il y ait lieu d’apprécier la question de la clause d’exclusion invoquée par l’expert-comptable.

Tout d’abord et ainsi que rappelé ci-dessus on ne peut que constater la carence des contrôles internes étant rappelé que si le commissaire aux comptes aurait certes pu alerter plus tôt, ceci n’aurait constituer qu’une alerte alors que lorsque celle-ci a été donnée, c’est-à-dire le 14 novembre 2013 (pièce 23 3G audit), la société Daumont n’en a tiré aucun compte au regard des déclarations du nouveau comptable en avril 2016 telles que rappelées ci-dessus.

Mais surtout, quelle que soit la diligence des professionnels du chiffre, ils n’auraient pu alerter leur client qu’au moment de l’établissement des comptes annuels pour l’expert-comptable et de leur certification pour le commissaire aux comptes.

Les détournements se sont échelonnés entre le 2 avril 2012 et le 16 octobre 2013. La société clôturait ses comptes au 31 décembre de chaque année. C’est donc lors de l’établissement des comptes annuels début 2013 que l’expert-comptable aurait pu intervenir alors que l’intervention du commissaire aux comptes aurait pu survenir en juin 2013. En effet, même en considération de sa mission permanente, elle ne suppose pas une intervention constante et c’est bien la tâche de certification qui aurait pu donner lieu à interrogations et alertes auprès de la société Daumont.

Ainsi quelle que soit l’intervention des professionnels du chiffre elle n’aurait pu éviter les détournements dont la moitié a eu lieu dans le courant de l’année 2012. Tout au plus, auraient-ils pu être interrompus plus tôt. Mais, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, au jour où la cour statue, tous les détournements ont été remboursés.

L’intimée soutient cependant qu’il existe pour elle un préjudice distinct de ces détournements mais qu’elle évaluait curieusement au même montant devant les premiers juges. Si devant la cour, elle sollicite la confirmation du jugement et s’en tient à la somme de 65 000 euros, elle fait valoir expressément que l’indemnisation d’un préjudice résultant de la perte de chance n’a pas vocation à couvrir l’intégralité de la perte subie, ce qui entretient la confusion.

L’intimée invoque certes les différents frais et tracas qu’elle a dû exposer suite aux détournements. Ceci pourrait constituer un élément de préjudice.

Cependant, elle cumule dans cette argumentation un certain nombre de faits comprenant la responsabilité du notaire au moment de la vente de l’immeuble des époux X pour laquelle elle a transigé avec son assureur qui ne saurait constituer un préjudice indemnisable dans le cadre du présent litige. Mais surtout, à supposer une intervention des professionnels du chiffre l’ensemble des frais et tracas liés à la caractérisation des détournements aurait été exposés et la société Daumont aurait dû faire face à la procédure pénale.

Alors qu’il devrait également être tenu compte de sa propre faute au titre de l’absence de tout contrôle interne, elle ne justifie donc pas d’une perte de chance indemnisable distincte des détournements, désormais remboursés, et en lien de causalité avec l’intervention des professionnels du chiffres qui n’aurait pu conduire qu’à une découverte anticipée des détournements peut être pour un montant un peu moins élevé mais en aucun cas ne lui aurait évité les frais et tracas qu’elle invoque.

Il n’y a donc pas lieu à indemnité. Le jugement sera infirmé et la société Daumont déboutée de ses demandes de dommages et intérêts.

La question de la somme de 11 760 euros au titre des factures émises par l’expert-comptable n’était pas dévolue à la cour de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer.

L’appel est bien fondé et l’action de la société Daumont ne l’était pas étant toutefois observé qu’au jour où les premiers juges ont statué les détournements n’avaient pas été remboursés. Dès lors, le jugement sera infirmé en ce qu’il a fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et statué sur les dépens et il n’apparaît pas inéquitable que chacune des parties conserve à sa charge les frais et dépens par elle exposés.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 26 avril 2018 sur les chefs dévolus à la cour,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Déboute la SAS Daumont de toutes ses demandes,

Laisse à chacune des parties la charge des frais et dépens par elle exposés.

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS Daumont exploite au Barp (33) un magasin super U. Elle avait pour expert-comptable la SARLU BXA Bordeaux Expertise et Audit avec, selon lettre du 28 novembre 2008, une mission de présentation de ses comptes annuels et d’établissement des déclarations comptables. Elle avait comme commissaire aux comptes à compter de l’exercice 2007 la SARL 3G Audit. Invoquant la découverte d’anomalies comptables après le licenciement pour faute grave de la comptable, Mme X, en octobre 2013 et l’embauche d’un nouveau comptable, elle a déposé plainte contre cette ex salariée pour escroquerie et détournement de fonds. Mme X a été déclarée coupable par le tribunal correctionnel de Bordeaux du 27 juin 2016 et, sur intérêts civils, condamnée à payer à la société Daumont la somme de 83 862,82 euros à titre de dommages et intérêts. Considérant que tant son expert-comptable que son commissaire aux comptes avaient manqué à leurs obligations ne lui permettant pas ainsi de déceler les détournements commis à son préjudice, la société Daumont a, par acte du 21 janvier 2016, fait assigner la société 3G Audit, la société BXA ainsi que son assureur la société MMA IARD devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement à titre principal de la somme de 83 862,82 euros.

Par jugement du 26 avril 2018, le tribunal a, en substance :

– condamné solidairement la société BXA et son assureur la société MMA ainsi que la société 3G Audit à payer à la société Daumont la somme de 65 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– débouté la société Daumont de sa demande indemnitaire relative au temps passé par son comptable,

– condamné la société Daumont à payer à la société BXA la somme de 11 760 euros,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– ordonné l’exécution provisoire sous réserve de la constitution par la société Daumont d’une caution de 65 000 euros,

– condamné solidairement la société BXA et son assureur la société MMA ainsi que la société 3G Audit à payer à la société Daumont la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné solidairement la société BXA et son assureur la société MMA ainsi que la société 3G Audit aux dépens.

La société BXA et la société MMA ont relevé appel de la décision le 7 juin 2018, énonçant dans leur déclaration les chefs critiqués du jugement et intimant la société Daumont. La société 3G Audit a relevé appel de la décision le 8 juin 2018, énonçant dans sa déclaration les chefs critiqués du jugement et intimant la société Daumont, la société BXA et la société MMA.

Les dossiers ont fait l’objet d’une jonction. Une mesure de médiation a été proposée aux parties mais n’a pu recueillir leur accord.

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans leurs dernières écritures en date du 9 février 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la société BXA et son assureur les MMA demandent à la cour de : Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 26 avril 2018 en ce qu’il a :

– Dit que la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles ès-qualité d’assureur de de cette dernière et la société 3G Audit SARL ont commis une faute ayant pour conséquence la perte de chance pour la société Daumont SAS de faire cesser les détournements de fonds,                                                                                                                                                                                                – Condamné solidairement la société la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU et son assureur MMA IARD Assurances Mutuelles d’une part et la société 3G Audit SARL d’autre part, à payer à la société Daumont SAS la somme de 65 000 euros outre intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement,                                                                                                                                                                      – Condamné solidairement la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles ès-qualité d’assureur de de cette dernière et la société 3G Audit SARL à payer à la société Daumont SAS la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,                                                                                                                                                            – Condamné solidairement la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles ès-qualité d’assureur de de cette dernière et la société 3G Audit SARL aux dépens ».

Statuant à nouveau,                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           – Débouter la société Daumont de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions, à l’encontre de la société BXA Expertise & Audit                                                                                                                                                  – Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 26 avril 2018 en ce qu’il a :                                                                                                                                                                                                     – Débouté la société Daumont SAS de sa demande indemnitaire relative au temps passé par son comptable,                                                                                                                                                                                             – Condamné la société Daumont SAS à payer à la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU la somme de 11 760 euros.

Y ajoutant :

– Condamner la société Daumont à payer à la société BXA Bordeaux Expertise & Audit une indemnité de 5 000 sur le fondement de l’article 700 du CPC;                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 – Condamner la société Daumont aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Elle fait valoir que la demande de la société Daumont est dépourvue d’objet puisqu’elle a été indemnisée des détournements par un paiement du notaire des époux X. Pour le surplus, elle précise n’être tenue que d’une obligation de moyens dans l’accomplissement de sa mission et conteste avoir commis une faute, les détournements ayant été réalisés par une salariée de la société Daumont que ses dirigeants avaient recrutée et qu’ils devaient contrôler. Elle précise que les contrôles spécifiques n’entraient pas dans sa mission et que les détournements n’étaient pas décelables dans le cadre qui était le sien. Elle ajoute avoir satisfait à son obligation de conseil en sollicitant des informations auprès du dirigeant ce qui l’alertait sur les anomalies comptables. Elle se prévaut d’une clause d’exclusion de responsabilité. Elle conteste qu’il subsiste un préjudice indemnisable et ajoute qu’il ne pourrait se limiter qu’à une perte de chance de ne pas subir les conséquences annexes des fraudes de la préposée.

Dans ses dernières écritures en date du 1er février 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la société 3G Audit demande à la cour de :

D’infirmer le jugement en ce qu’il :                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                – Dit que la société BXA Bordeaux Expertise et Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles ès qualité d’assureur de cette dernière et la société 3G Audit SARL ont commis une faute ayant pour conséquence la perte de chance pour la société Daumont SAS de faire cesser les détournements de fonds.                                                                                                                                                                                                – Condamne solidairement la société BXA Bordeaux Expertise et Audit SASU et son assureur MMA IARD Assurances Mutuelles d’une part et la société 3G Audit SARL d’autre part à payer à la société DAUMONT SAS la somme de 65 000 euros outre intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement.                                                                                                                                                                  – Déboute la société Daumont SAS de sa demande indemnitaire relative au temps passé par son comptable.                                                                                                                                                                                            – Déboute les parties du reste de leurs demandes;

– Ordonne l’exécution provisoire sous réserve que la société Daumont SAS constitue valable caution à concurrence de 65 000 euros :                                                                                                                                            – Condamne solidairement la société BXA Bordeaux Expertise et Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles ès qualité d’assureur de cette dernière et la société 3G Audit SARL à payer à la société Daumont SAS la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   – Condamne solidairement la société BXA Bordeaux Expertise et Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles ès qualité d’assureur de cette dernière et la société 3G Audit aux dépens.

En conséquence, statuant à nouveau :                                                                                                                                                                                                                                                                                                                        A titre principal :

– Juger que la société 3G Audit n’a commis aucune faute dans le cadre de sa mission de commissariat aux comptes de la société Daumont ;                                                                                                                                En conséquence :

– Débouter la société Daumont de son appel incident et plus généralement de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;                                                                                                                                            Subsidiairement :

– Juger que la société Daumont a commis une faute de nature à exonérer la société 3G Audit de toute responsabilité

– Juger que la société Daumont ne justifie d’aucun préjudice indemnisable, son préjudice ayant été intégralement réparé par jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux ;

– Juger que le préjudice allégué par la société Daumont qui consisterait à avoir été privé de la chance de déceler les détournements plus tôt ne pourrait être réparé que sur la base d’une perte de chance et uniquement sur la période du 12 juin 2013 au 31 octobre 2013 ;

En conséquence :                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               – Débouter la société Daumont de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause :

– Condamner la société Daumont à payer à la société 3G Audit la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la société Daumont aux entiers dépens de la présente instance et recouvrement en application de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Maître Michel Puybaraud.

Elle s’explique sur sa mission, rappelle n’être tenue qu’à une obligation de moyens et fait valoir que le seul constat d’irrégularités est insuffisant pour établir sa responsabilité. Elle soutient qu’il ne lui appartenait pas de vérifier la bonne tenue de la comptabilité et qu’elle a bien alerté la société Daumont sur les anomalies de comptabilisation des factures fournisseurs. Elle considère que les anomalies n’étaient pas significatives et qu’elle avait procédé à une circularisation auprès des fournisseurs. Elle ajoute qu’il ne lui appartenait pas de se substituer au chef d’entreprise quant au contrôle interne.

Subsidiairement, elle considère que la faute de la société Daumont qui n’a exercé aucun contrôle est exonératoire de responsabilité. Quant au préjudice, elle fait valoir qu’elle ne pourrait être tenue que de la période entre 12 juin 2013 et 31 octobre 2013 compte tenu du mécanisme de certification des comptes et que la société Daumont en a été intégralement indemnisée. Elle conteste le quantum des demandes.

Dans ses dernières écritures en date du 3 avril 2019, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la société Daumont demande à la cour de :

Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux, en date du 26 avril 2018 en ce qu’il a :

– Dit que la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles ès qualité d’assureur de cette dernière et la société 3G Audit SARL ont commis une faute ayant pour conséquence la perte de chance pour la société Daumont SAS de faire cesser les détournements ;

– Condamné solidairement la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société 3G Audit SARL à payer la somme de 65 000 euros à la SAS Daumont, outre intérêt légal à compter de la signification du jugement en date du 26/04/2018 ;

– Rejeté la demande de la SARL 3G Audit d’être substituée dans tous les droits que détient la SAS Daumont à l’égard des époux X à due concurrence de sa condamnation au titre de la perte de chance ;

– Condamné solidairement la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société 3G Audit SARL à payer la somme de 5 000 euros à la SAS Daumont, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné solidairement la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société 3G Audit SARL aux dépens, dont frais de greffe liquidés à la somme de 129,24 euros et dont TVA pour 21,54 euros ;

Y ajoutant :

– Constater que les fautes professionnelles des sociétés BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société 3G Audit SARL ont eu pour conséquence la perte de chance pour la SAS Daumont de ne subir aucun détournement ;

– Condamner solidairement la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société 3G Audit SARL à payer la somme de 5 000 euros à la SAS Daumont, sur le fondement de  l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner solidairement la société BXA Bordeaux Expertise & Audit SASU, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et la société 3G Audit SARL aux entiers dépens résultant de la présente instance ;

– Constater que la SAS Daumont s’est acquittée de sa dette de 11 760 euros auprès de la SAS BXA.

Elle fait valoir que Mme X a été licenciée avant la découverte des anomalies et pour de tout autres motifs. Elle soutient que chacun des professionnels du chiffre a manqué à ses obligations alors qu’ils auraient dû l’alerter sur les anomalies comptables. Elle conteste la clause limitative de responsabilité faisant valoir qu’elle ne saurait concerner que des fautes légères commises par l’expert-comptable. Elle s’explique sur les manquements reprochés à chacun des appelants et conteste avoir commis une faute. Sur le préjudice, elle fait valoir qu’il s’agit d’une perte de chance de mettre un terme aux détournements et ajoute qu’elle n’entend pas remettre en cause la somme retenue par le tribunal, une perte de chance n’ayant pas vocation à couvrir l’intégralité de la perte subie. Elle invoque le temps passé par son nouveau comptable et les démarches judiciaires qui ont dû être les siennes.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 17 février 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Si la société Daumont vise à la fois les dispositions des articles 1147 et 1382 du code civil, dans leur version applicable aux faits de l’espèce, ce qui heurte le principe de non cumul, il est manifeste que son action dirigée contre les professionnels du chiffre à qui elle avait confié respectivement la mission de présentation de ses comptes, établissement des déclarations comptables et d’audit de ses comptes annuels, est une action en responsabilité contractuelle.

Il incombe à la société Daumont d’établir la preuve d’une faute de chacun de ces professionnels et d’un préjudice en découlant dans un lien de causalité.

Des énonciations du jugement pénal définitif, il résulte que Mme X, comptable salariée de la société Daumont, a été reconnue coupable d’abus de confiance pour des faits commis entre mars 2012 et le 31 octobre 2013. Sur intérêts civils, Mme X a été condamnée à payer à la société Daumont la somme de 83 862,82 euros au titre des détournements outre 800 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Daumont s’est toujours placée sur le terrain d’une perte de chance de découvrir plus tôt les détournements et donc de ne pas en subir tout ou partie.

Il est certain, si les fautes sont établies, qu’il peut exister un préjudice de nature différente de celui des détournements eux-mêmes et qui procède de cette perte de chance. Toutefois, l’appelante a, à tout le moins, entretenu une certaine confusion en calquant exactement sa demande de première instance sur le montant des détournements, en précisant devant la cour qu’elle sollicitait la confirmation du jugement en ayant conscience que l’indemnisation d’un préjudice résultant de la perte de chance n’a pas vocation à couvrir l’intégralité de la perte subie et en ramenant en permanence la discussion au montant des détournements.

Il est admis que pendant la procédure d’appel les fonds objet du détournement ont bien été remboursés. Cela n’épuise certes pas le débat puisqu’il peut subsister un préjudice distinct tenant à la période pendant laquelle les détournements ont existé et n’étaient pas remboursés ainsi que les préjudices annexes constitués par la mise en lumière de ces faits.

Cependant, cela ne peut, contrairement aux affirmations de l’appelante, être considéré comme indifférent.

Sur la faute, il convient d’apprécier distinctement la situation de l’expert-comptable et celle du commissaire aux comptes, leurs missions étant différentes. De manière commune, il convient de rappeler que les détournements ont eu lieu, au vu des pièces de la société Daumont, entre le 2 avril 2012 et le 16 octobre 2013, date de sa mise à pied, étant rappelé que Mme X avait été embauchée le 27 février 2012. Les détournements étaient constitués majoritairement par des chèques établis à son profit ou au profit de son mari. Plus marginalement, il existait des chèques établis au bénéfice d’un tiers en règlement d’une prestation et quelques virements.

Les montants étaient compris entre 1 191 euros et 4 514 euros.

L’expert-comptable,

Aux termes de la lettre de mission, l’expert-comptable était chargé de la présentation des comptes annuels et de l’établissement des déclarations afférentes aux comptes de l’entreprise.

De cette mission, en particulier de présentation des comptes annuels, il découle que l’expert-comptable s’assure de la cohérence et la vraisemblance de la comptabilité.

L’intimée considère que son expert-comptable aurait dû l’alerter sur un certain nombre d’anomalies et qu’elle aurait ainsi pu découvrir plus tôt les détournements. Il apparaît cependant que l’ensemble des détournements pour chacun des exercices concernés représentaient environ 0,40% des achats de sorte qu’ils n’étaient pas nécessairement apparents alors que la mission de l’expert-comptable ne portait pas spécifiquement sur la recherche des erreurs ou fraudes. En toute hypothèse des sondages aléatoires pouvaient ne rien laisser apparaître sans faute de l’expert-comptable compte tenu du ratio ci-dessus.

L’intimée fait toutefois valoir que certaines défaillances de sa comptable salariée avaient pu être décelées et que si elle avait été alertée plus tôt, elle aurait ainsi pu faire cesser les détournements même si les anomalies constatées étaient étrangères à ces détournements. Ceci est en premier lieu quelque peu indirect. Mais surtout, il apparaît, que l’expert-comptable avait bien adressé certaines alertes à la société Daumont en sollicitant en particulier et ce dès juillet 2012 le tableau des marges. Pour considérer que ces alertes étaient inopérantes, l’intimée fait valoir qu’elles étaient adressées à la comptable alors que le dirigeant n’était qu’en copie. Il n’en demeure pas moins que la copie lui était adressée et pouvait lui permettre de procéder à certains contrôles. Or, tel n’était absolument pas le cas. Il n’est fait état d’aucun contrôle par la société sur les agissements de Mme X qui a commis ses premiers détournements alors qu’elle était encore en période d’essai. Cette situation de total absence de contrôle a d’ailleurs perduré puisqu’il résulte de l’audition du nouveau comptable de la société, alors que les détournements avaient été découverts, qu’il n’existait pas davantage de contrôle. Le nouveau comptable déclarait ainsi que le représentant légal de la société ne connaissait pas les procédures pour les virements, faisait confiance au comptable salarié et ignorait même le nombre de chéquiers qu’il détenait.

Il apparaît que Mme X avait procédé à des fausses saisies comptables pour masquer ses détournements. Mais il est cependant exact qu’un règlement a été enregistré sans création d’une ligne comptable et que certains détournements ont été réalisés en un seul paiement censé régler plusieurs fournisseurs. De telles anomalies auraient donc pu être détectées et ce d’autant plus que le nouveau comptable salarié de la société a pu très rapidement constater les détournements.

Le commissaire aux comptes

Sa mission procède des dispositions des articles L 823-9 et suivants du code de commerce et des normes d’exercice professionnel.

Contrairement aux énonciations des premiers juges, il n’y a pas lieu de retenir que la mission du commissaire aux comptes aurait dû être renforcée en 2012 à l’arrivée d’une nouvelle comptable. Il s’agissait en effet de l’organisation interne de la société Daumont, sa cliente, laquelle n’avait, ainsi que rappelé ci-dessus, mis en place aucun contrôle spécifique de sa préposée. Or, dans sa mission de certification le commissaire aux comptes a certes une obligation de vérification des documents comptable qui lui sont présentés mais à l’exclusion de toute immixtion.

La certification des comptes correspond dès lors à la notion d’une assurance raisonnable de l’absence d’anomalies significatives.

En l’espèce, le volume des détournements représentait 0,40% des achats de sorte qu’il ne pouvait être considéré qu’il s’agissait d’une anomalie significative et que les vérifications par sondage devaient raisonnablement emporter leur découverte.

L’intimée fait certes observer qu’il existait certaines anomalies dans le suivi de circularisation et que par ailleurs elle n’avait pas été alertée sur les carences de son contrôle interne. Ces points sont exacts et pouvaient constituer des éléments de vigilance qui n’ont cependant pas été rappelés dans le rapport du commissaire aux comptes. Ceci est d’autant plus le cas que la lettre de mission contenait bien une rubrique au titre de l’évaluation du contrôle interne, lequel était manifestement inexistant.

Il peut ainsi être retenu une faute de chacun des professionnels du chiffre.

Mais sur les conséquences que ce soit au titre de l’intervention de l’expert-comptable ou de celle du commissaire aux comptes, il ne peut être constaté de préjudice indemnisable c’est-à-dire en lien de causalité avec ces interventions et ce sans même qu’il y ait lieu d’apprécier la question de la clause d’exclusion invoquée par l’expert-comptable.

Tout d’abord et ainsi que rappelé ci-dessus on ne peut que constater la carence des contrôles internes étant rappelé que si le commissaire aux comptes aurait certes pu alerter plus tôt, ceci n’aurait constituer qu’une alerte alors que lorsque celle-ci a été donnée, c’est-à-dire le 14 novembre 2013 (pièce 23 3G audit), la société Daumont n’en a tiré aucun compte au regard des déclarations du nouveau comptable en avril 2016 telles que rappelées ci-dessus.

Mais surtout, quelle que soit la diligence des professionnels du chiffre, ils n’auraient pu alerter leur client qu’au moment de l’établissement des comptes annuels pour l’expert-comptable et de leur certification pour le commissaire aux comptes.

Les détournements se sont échelonnés entre le 2 avril 2012 et le 16 octobre 2013. La société clôturait ses comptes au 31 décembre de chaque année. C’est donc lors de l’établissement des comptes annuels début 2013 que l’expert-comptable aurait pu intervenir alors que l’intervention du commissaire aux comptes aurait pu survenir en juin 2013. En effet, même en considération de sa mission permanente, elle ne suppose pas une intervention constante et c’est bien la tâche de certification qui aurait pu donner lieu à interrogations et alertes auprès de la société Daumont.

Ainsi quelle que soit l’intervention des professionnels du chiffre elle n’aurait pu éviter les détournements dont la moitié a eu lieu dans le courant de l’année 2012. Tout au plus, auraient-ils pu être interrompus plus tôt. Mais, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, au jour où la cour statue, tous les détournements ont été remboursés.

L’intimée soutient cependant qu’il existe pour elle un préjudice distinct de ces détournements mais qu’elle évaluait curieusement au même montant devant les premiers juges. Si devant la cour, elle sollicite la confirmation du jugement et s’en tient à la somme de 65 000 euros, elle fait valoir expressément que l’indemnisation d’un préjudice résultant de la perte de chance n’a pas vocation à couvrir l’intégralité de la perte subie, ce qui entretient la confusion.

L’intimée invoque certes les différents frais et tracas qu’elle a dû exposer suite aux détournements. Ceci pourrait constituer un élément de préjudice.

Cependant, elle cumule dans cette argumentation un certain nombre de faits comprenant la responsabilité du notaire au moment de la vente de l’immeuble des époux X pour laquelle elle a transigé avec son assureur qui ne saurait constituer un préjudice indemnisable dans le cadre du présent litige. Mais surtout, à supposer une intervention des professionnels du chiffre l’ensemble des frais et tracas liés à la caractérisation des détournements aurait été exposés et la société Daumont aurait dû faire face à la procédure pénale.

Alors qu’il devrait également être tenu compte de sa propre faute au titre de l’absence de tout contrôle interne, elle ne justifie donc pas d’une perte de chance indemnisable distincte des détournements, désormais remboursés, et en lien de causalité avec l’intervention des professionnels du chiffres qui n’aurait pu conduire qu’à une découverte anticipée des détournements peut être pour un montant un peu moins élevé mais en aucun cas ne lui aurait évité les frais et tracas qu’elle invoque.

Il n’y a donc pas lieu à indemnité. Le jugement sera infirmé et la société Daumont déboutée de ses demandes de dommages et intérêts.

La question de la somme de 11 760 euros au titre des factures émises par l’expert-comptable n’était pas dévolue à la cour de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer.

L’appel est bien fondé et l’action de la société Daumont ne l’était pas étant toutefois observé qu’au jour où les premiers juges ont statué les détournements n’avaient pas été remboursés. Dès lors, le jugement sera infirmé en ce qu’il a fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et statué sur les dépens et il n’apparaît pas inéquitable que chacune des parties conserve à sa charge les frais et dépens par elle exposés.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 26 avril 2018 sur les chefs dévolus à la cour,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Déboute la SAS Daumont de toutes ses demandes,

Laisse à chacune des parties la charge des frais et dépens par elle exposés.