Honoraires de l'expert-comptable sans lettre de mission

Cass.com 20 09 2023

Décision du tribunal : Cour de cassation N° 21-25.387

Date : 20/09/2023

NOTRE ANALYSE

La Cour de cassation casse le jugement d'un tribunal de commerce ayant refusé d'évaluer les honoraires d’un expert-comptable, au motif de l'absence de lettre de mission, alors même que les prestations réalisées ont donné lieu à une créance, dont l'existence a été constatée en son principe.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal de commerce de Versailles, 19 novembre 2021), rendu en dernier ressort, par un acte du 30 juillet 2021 transformé en procès-verbal de recherches infructueuses, la société Effigest, expert-comptable, a assigné la société Bugada aux fins de la voir condamner à lui payer une somme totale de 3 630 euros au titre d’interventions juridiques réalisées en septembre et octobre 2019 en vue de l’acquisition d’un fonds de commerce, outre 243,20 euros au titre de frais de recouvrement amiable.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La société Effigest fait grief au jugement de rejeter ses demandes, alors « que dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation ; qu’en cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat ; qu’en déboutant, alors même qu’elle n’était saisie d’aucune contestation ou demande de la partie adverse, la société Effigest de sa demande de condamnation de sa cliente au paiement de prestations de service réalisée au motif qu’elle ne justifierait pas du quantum du prix fixé et facturé par elle, le tribunal a violé l’article 1165 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, modifiée par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018. »

Réponse de la Cour

3. Selon l’article 1165 du code civil, dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation.

4. Selon l’article 1105, alinéa 3, du code civil, les règles générales relatives à la formation, à l’interprétation et aux effets des contrats s’appliquent sous réserve des règles particulières propres à certains contrats.

5. Selon l’article 151, alinéa 1er, du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l’exercice de l’activité d’expertise comptable, l’expert-comptable passe avec son client un contrat écrit définissant sa mission et précisant les droits et obligations de chacune des parties.

6. Il en résulte que les dispositions de l’article 1165 du code civil ne sont, conformément à l’article 1105, alinéa 3, du même code, pas applicables.

7. Le moyen, qui postule le contraire, n’est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

8. La société Effigest fait le même grief au jugement, alors « qu’en matière de louage d’ouvrage, il appartient au juge de fixer la rémunération due au prestataire compte tenu des éléments de la cause ; que le juge est ainsi tenu de fixer le montant d’honoraires dont il ressort de ses constatations qu’ils sont fondés en leur principe ; que le montant des honoraires dus à l’expert-comptable doit être déterminé en fonction du travail fourni et du service rendu ; qu’en déboutant la société d’expertise-comptable Effigest de sa demande de condamnation de sa cliente au paiement de prestations, dont il a pourtant constaté la réalisation, au motif qu’il n’était pas justifié du quantum facturé, quand il lui revenait d’évaluer le montant des honoraires dus, le tribunal a violé les articles 4 et 1787 du code civil, ensemble l’article 24 de l’ordonnance nº 45-2138 du 19 septembre 1945. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 4 du code civil et l’article 24 de l’ordonnance nº 45-2138 du 19 septembre 1945 :

9. Il résulte du premier de ces textes que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies et est, par suite, tenu d’évaluer une créance dont il a constaté l’existence en son principe.

10. Selon le second de ces textes, les honoraires de l’expert-comptable doivent constituer la juste rémunération du travail fourni comme du service rendu.

11. Pour rejeter la demande, le jugement, après avoir constaté que la société Effigest ne produit aux débats aucune lettre de mission ni aucun contrat la liant à la société Bugada, énonce qu’il n’est pas contestable que des prestations ont été réalisées par la société Effigest, mais relève que celle-ci ne justifie pas du quantum qu’elle leur affecte.

12. En statuant ainsi, en refusant d’évaluer le montant des honoraires dus à la société Effigest, alors qu’il résultait de ses propres constatations que des prestations avaient été réalisées et que ces honoraires étaient fondés en leur principe, le tribunal, qui devait en fixer le montant, a méconnu l’étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 novembre 2021, entre les parties, par le tribunal de commerce de Versailles ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant le tribunal de commerce de Nanterre ;

Condamne la société Bugada aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Bugada à payer à la société Effigest la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt septembre deux mille vingt-trois.

 

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal de commerce de Versailles, 19 novembre 2021), rendu en dernier ressort, par un acte du 30 juillet 2021 transformé en procès-verbal de recherches infructueuses, la société Effigest, expert-comptable, a assigné la société Bugada aux fins de la voir condamner à lui payer une somme totale de 3 630 euros au titre d’interventions juridiques réalisées en septembre et octobre 2019 en vue de l’acquisition d’un fonds de commerce, outre 243,20 euros au titre de frais de recouvrement amiable.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La société Effigest fait grief au jugement de rejeter ses demandes, alors « que dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation ; qu’en cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat ; qu’en déboutant, alors même qu’elle n’était saisie d’aucune contestation ou demande de la partie adverse, la société Effigest de sa demande de condamnation de sa cliente au paiement de prestations de service réalisée au motif qu’elle ne justifierait pas du quantum du prix fixé et facturé par elle, le tribunal a violé l’article 1165 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, modifiée par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018. »

Réponse de la Cour

3. Selon l’article 1165 du code civil, dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation.

4. Selon l’article 1105, alinéa 3, du code civil, les règles générales relatives à la formation, à l’interprétation et aux effets des contrats s’appliquent sous réserve des règles particulières propres à certains contrats.

5. Selon l’article 151, alinéa 1er, du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l’exercice de l’activité d’expertise comptable, l’expert-comptable passe avec son client un contrat écrit définissant sa mission et précisant les droits et obligations de chacune des parties.

6. Il en résulte que les dispositions de l’article 1165 du code civil ne sont, conformément à l’article 1105, alinéa 3, du même code, pas applicables.

7. Le moyen, qui postule le contraire, n’est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

8. La société Effigest fait le même grief au jugement, alors « qu’en matière de louage d’ouvrage, il appartient au juge de fixer la rémunération due au prestataire compte tenu des éléments de la cause ; que le juge est ainsi tenu de fixer le montant d’honoraires dont il ressort de ses constatations qu’ils sont fondés en leur principe ; que le montant des honoraires dus à l’expert-comptable doit être déterminé en fonction du travail fourni et du service rendu ; qu’en déboutant la société d’expertise-comptable Effigest de sa demande de condamnation de sa cliente au paiement de prestations, dont il a pourtant constaté la réalisation, au motif qu’il n’était pas justifié du quantum facturé, quand il lui revenait d’évaluer le montant des honoraires dus, le tribunal a violé les articles 4 et 1787 du code civil, ensemble l’article 24 de l’ordonnance nº 45-2138 du 19 septembre 1945. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 4 du code civil et l’article 24 de l’ordonnance nº 45-2138 du 19 septembre 1945 :

9. Il résulte du premier de ces textes que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies et est, par suite, tenu d’évaluer une créance dont il a constaté l’existence en son principe.

10. Selon le second de ces textes, les honoraires de l’expert-comptable doivent constituer la juste rémunération du travail fourni comme du service rendu.

11. Pour rejeter la demande, le jugement, après avoir constaté que la société Effigest ne produit aux débats aucune lettre de mission ni aucun contrat la liant à la société Bugada, énonce qu’il n’est pas contestable que des prestations ont été réalisées par la société Effigest, mais relève que celle-ci ne justifie pas du quantum qu’elle leur affecte.

12. En statuant ainsi, en refusant d’évaluer le montant des honoraires dus à la société Effigest, alors qu’il résultait de ses propres constatations que des prestations avaient été réalisées et que ces honoraires étaient fondés en leur principe, le tribunal, qui devait en fixer le montant, a méconnu l’étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 novembre 2021, entre les parties, par le tribunal de commerce de Versailles ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant le tribunal de commerce de Nanterre ;

Condamne la société Bugada aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Bugada à payer à la société Effigest la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt septembre deux mille vingt-trois.