Liquidation judiciaire et manquements de l'expert-comptable
Décision du tribunal : Cour de cassation N° 21-16.738
Date : 30/08/2023
NOTRE ANALYSE
Un liquidateur réclame à un associé-gérant le paiement du solde débiteur de son compte-courant. L’expert-comptable étant responsable d’une erreur sur le sens de ce compte, le gérant se retourne vers ce professionnel en arguant d’erreurs de gestion commises, en raison du bilan erroné. Les juges concluent qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les manquements de l’expert-comptable et l’obligation de remboursement par le gérant du compte d’associé débiteur et que celui-ci est donc seul responsable du préjudice causé par ses choix de gestion.
…
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 16 mars 2021), M. [G] était l’associé unique et gérant de la société Multi renov habitat BCPX (la société), laquelle a été mise en liquidation judiciaire.
2. La comptabilité de la société ayant fait apparaître que le solde du compte courant d’associé était débiteur, Mme [B], son liquidateur judiciaire, a assigné M. [G] en paiement.
3. Ce dernier a alors appelé en intervention forcée l’association Gestelia Basse-Normandie (l’association Gestelia), expert-comptable de la société.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [G] fait grief à l’arrêt de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté ses demandes fins et conclusions à l’encontre de l’association Gestelia, alors :
« 1°/ que l’expert-comptable est tenu de s’assurer de la cohérence et de la vraisemblance des comptes ; que l’arrêt constate l’existence d’une faute de l’expert-comptable consistant à avoir fait apparaître au bilan de l’année 2013 « un compte courant créditeur de 157 418, 63 euros non rémunéré au nom de M. [S] [G], gérant et associé unique, alors qu’en réalité ce compte était en position débitrice » ; qu’en retenant que l’association Gestelia ne pouvait être tenue pour responsable du placement en liquidation judiciaire de la société, qui résultait notamment « des choix de gestion de son dirigeant, qui a accru la masse salariale entre l’exercice 2012/2013 et l’exercice 2013/2014 », quand les documents comptables, reflet de la situation de la société, ont précisément pour vocation de permettre au dirigeant d’effectuer des choix de gestion en adéquation avec cette situation, la cour d’appel a violé l’article 1240 du code civil ;
2°/ que l’expert-comptable est tenu à un devoir de conseil à l’égard de son client ; que l’arrêt constate l’existence d’une faute de l’expert-comptable consistant à n’avoir, en raison de son erreur consistant à avoir fait apparaître au bilan de l’année 2013 « un compte courant créditeur de 157 418,63 euros non rémunéré au nom de M. [G], gérant et associé unique, alors qu’en réalité ce compte était en position débitrice », donné « aucune alerte sur le risque inhérent à ce compte débiteur », le « seul élément produit à ce titre, à savoir le courrier électronique du 23 avril 2015 (?), s’il mentionne qu’il était impératif de corriger le bilan 2013 en conséquence et de procéder aux déclarations rectificatives », étant « tardif au regard de cette apparition d’un compte courant débiteur d’un montant important dès la première année d’exercice » ; qu’en retenant que l’association Gestelia ne pouvait être tenue pour responsable du placement en liquidation judiciaire de la société, qui résultait « des choix de gestion de son dirigeant, qui a accru la masse salariale entre l’exercice 2012/2013 et l’exercice 2013/2014 », quand, l’expert-comptable aurait dû, dans le cadre de son devoir de conseil, attirer l’attention du gérant sur l’apparition d’un compte courant débiteur d’un montant important dès la première année d’exercice, la cour d’appel a violé l’article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir relevé que le rapport de gestion de la gérance du 30 décembre 2013, portant sur l’exercice clos le 30 juin 2013, établi par l’association Gestelia, mentionne par erreur un compte courant d’associé créditeur, alors qu’il était débiteur, et que l’association Gestelia ne justifie d’aucune alerte sur le risque inhérent à ce compte débiteur, l’arrêt retient que M. [G] ne démontre pas en quoi cette erreur et ce défaut d’alerte auraient été déterminants dans la conduite de la gestion de la société, mise ensuite en liquidation judiciaire. Il retient encore que cette liquidation judiciaire résulte de l’insuffisance des résultats de la société et des choix de gestion de son dirigeant, qui a accru la masse salariale entre l’exercice 2012/2013 et l’exercice 2013/2014, sans accroissement du chiffre d’affaires, entraînant un résultat d’exploitation négatif pour l’exercice 2013/2014, qu’il n’est dès lors établi aucun lien de causalité entre les manquements de l’expert-comptable et l’obligation qui pèse sur M. [G] de rembourser le solde débiteur de son compte courant d’associé. Il ajoute que M. [G] n’établit pas davantage de lien de causalité entre le défaut de mise en garde de l’expert-comptable et le montant du débit en compte courant, dès lors que celui-ci, qui ne regroupe par hypothèse que des sommes exposées par la société dont l’associé est le débiteur réel, aurait été d’un montant identique avec ou sans l’action du cabinet comptable.
6. En l’état de ces constatations et appréciations, dont il ressort que les choix de M. [G] étaient la cause exclusive du préjudice qu’il alléguait, la cour d’appel a rejeté à bon droit la demande de ce dernier visant à combler le compte courant débiteur.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. M. [G] fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, alors :
« 1°/ que sont recevables en cause d’appel toutes les demandes qui sont l’accessoire, la conséquence ou le complément de celles soumises aux premiers juges ; qu’en jugeant irrecevable la demande de M. [G] tendant à l’indemnisation de son préjudice moral, comme nouvelle en cause d’appel, cependant que cette demande ne tendait qu’à voir condamnés Mme [B], ès qualités, et l’association Gestelia au titre d’un chef de préjudice consécutif aux fautes de ces derniers, dont M. [G] avait sollicité la réparation des conséquences dommageables en première instance, la cour d’appel a violé les articles 564 et 566 du code de procédure civile ;
2°/ qu’en jugeant irrecevable la demande de M. [G] tendant à l’indemnisation de son préjudice moral, aux motifs inopérants que, « M. [G] qui demande la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral ne reprend dans le corps de ses conclusions aucun développement à l’appui de cette prétention », quand les fautes fondant cette demande constituaient l’intégralité de la motivation de ses conclusions, la cour d’appel a, de nouveau, violé les articles 564 et 566 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. M. [G] est sans intérêt à reprocher à l’arrêt de déclarer irrecevable sa demande d’indemnisation d’un préjudice moral, dès lors qu’en dépit de la maladresse de rédaction dont s’empare le moyen, pris en sa seconde branche, la cour d’appel a fait ressortir que M. [G] ne présentait, dans ses conclusions, aucun moyen au soutien de l’existence d’un tel préjudice en lien avec les fautes qu’il invoquait, de sorte que, aurait-elle déclaré cette demande recevable, elle l’aurait rejetée.
9. Le moyen ne peut donc être accueilli.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [G] et le condamne à payer à l’association Gestaliat Basse-Normandie la somme de 3 000 euros et à Mme [B], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Multi renov habitat BCPX, la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente août deux mille vingt-trois.
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Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 16 mars 2021), M. [G] était l’associé unique et gérant de la société Multi renov habitat BCPX (la société), laquelle a été mise en liquidation judiciaire.
2. La comptabilité de la société ayant fait apparaître que le solde du compte courant d’associé était débiteur, Mme [B], son liquidateur judiciaire, a assigné M. [G] en paiement.
3. Ce dernier a alors appelé en intervention forcée l’association Gestelia Basse-Normandie (l’association Gestelia), expert-comptable de la société.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [G] fait grief à l’arrêt de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté ses demandes fins et conclusions à l’encontre de l’association Gestelia, alors :
« 1°/ que l’expert-comptable est tenu de s’assurer de la cohérence et de la vraisemblance des comptes ; que l’arrêt constate l’existence d’une faute de l’expert-comptable consistant à avoir fait apparaître au bilan de l’année 2013 « un compte courant créditeur de 157 418, 63 euros non rémunéré au nom de M. [S] [G], gérant et associé unique, alors qu’en réalité ce compte était en position débitrice » ; qu’en retenant que l’association Gestelia ne pouvait être tenue pour responsable du placement en liquidation judiciaire de la société, qui résultait notamment « des choix de gestion de son dirigeant, qui a accru la masse salariale entre l’exercice 2012/2013 et l’exercice 2013/2014 », quand les documents comptables, reflet de la situation de la société, ont précisément pour vocation de permettre au dirigeant d’effectuer des choix de gestion en adéquation avec cette situation, la cour d’appel a violé l’article 1240 du code civil ;
2°/ que l’expert-comptable est tenu à un devoir de conseil à l’égard de son client ; que l’arrêt constate l’existence d’une faute de l’expert-comptable consistant à n’avoir, en raison de son erreur consistant à avoir fait apparaître au bilan de l’année 2013 « un compte courant créditeur de 157 418,63 euros non rémunéré au nom de M. [G], gérant et associé unique, alors qu’en réalité ce compte était en position débitrice », donné « aucune alerte sur le risque inhérent à ce compte débiteur », le « seul élément produit à ce titre, à savoir le courrier électronique du 23 avril 2015 (?), s’il mentionne qu’il était impératif de corriger le bilan 2013 en conséquence et de procéder aux déclarations rectificatives », étant « tardif au regard de cette apparition d’un compte courant débiteur d’un montant important dès la première année d’exercice » ; qu’en retenant que l’association Gestelia ne pouvait être tenue pour responsable du placement en liquidation judiciaire de la société, qui résultait « des choix de gestion de son dirigeant, qui a accru la masse salariale entre l’exercice 2012/2013 et l’exercice 2013/2014 », quand, l’expert-comptable aurait dû, dans le cadre de son devoir de conseil, attirer l’attention du gérant sur l’apparition d’un compte courant débiteur d’un montant important dès la première année d’exercice, la cour d’appel a violé l’article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir relevé que le rapport de gestion de la gérance du 30 décembre 2013, portant sur l’exercice clos le 30 juin 2013, établi par l’association Gestelia, mentionne par erreur un compte courant d’associé créditeur, alors qu’il était débiteur, et que l’association Gestelia ne justifie d’aucune alerte sur le risque inhérent à ce compte débiteur, l’arrêt retient que M. [G] ne démontre pas en quoi cette erreur et ce défaut d’alerte auraient été déterminants dans la conduite de la gestion de la société, mise ensuite en liquidation judiciaire. Il retient encore que cette liquidation judiciaire résulte de l’insuffisance des résultats de la société et des choix de gestion de son dirigeant, qui a accru la masse salariale entre l’exercice 2012/2013 et l’exercice 2013/2014, sans accroissement du chiffre d’affaires, entraînant un résultat d’exploitation négatif pour l’exercice 2013/2014, qu’il n’est dès lors établi aucun lien de causalité entre les manquements de l’expert-comptable et l’obligation qui pèse sur M. [G] de rembourser le solde débiteur de son compte courant d’associé. Il ajoute que M. [G] n’établit pas davantage de lien de causalité entre le défaut de mise en garde de l’expert-comptable et le montant du débit en compte courant, dès lors que celui-ci, qui ne regroupe par hypothèse que des sommes exposées par la société dont l’associé est le débiteur réel, aurait été d’un montant identique avec ou sans l’action du cabinet comptable.
6. En l’état de ces constatations et appréciations, dont il ressort que les choix de M. [G] étaient la cause exclusive du préjudice qu’il alléguait, la cour d’appel a rejeté à bon droit la demande de ce dernier visant à combler le compte courant débiteur.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. M. [G] fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, alors :
« 1°/ que sont recevables en cause d’appel toutes les demandes qui sont l’accessoire, la conséquence ou le complément de celles soumises aux premiers juges ; qu’en jugeant irrecevable la demande de M. [G] tendant à l’indemnisation de son préjudice moral, comme nouvelle en cause d’appel, cependant que cette demande ne tendait qu’à voir condamnés Mme [B], ès qualités, et l’association Gestelia au titre d’un chef de préjudice consécutif aux fautes de ces derniers, dont M. [G] avait sollicité la réparation des conséquences dommageables en première instance, la cour d’appel a violé les articles 564 et 566 du code de procédure civile ;
2°/ qu’en jugeant irrecevable la demande de M. [G] tendant à l’indemnisation de son préjudice moral, aux motifs inopérants que, « M. [G] qui demande la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral ne reprend dans le corps de ses conclusions aucun développement à l’appui de cette prétention », quand les fautes fondant cette demande constituaient l’intégralité de la motivation de ses conclusions, la cour d’appel a, de nouveau, violé les articles 564 et 566 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. M. [G] est sans intérêt à reprocher à l’arrêt de déclarer irrecevable sa demande d’indemnisation d’un préjudice moral, dès lors qu’en dépit de la maladresse de rédaction dont s’empare le moyen, pris en sa seconde branche, la cour d’appel a fait ressortir que M. [G] ne présentait, dans ses conclusions, aucun moyen au soutien de l’existence d’un tel préjudice en lien avec les fautes qu’il invoquait, de sorte que, aurait-elle déclaré cette demande recevable, elle l’aurait rejetée.
9. Le moyen ne peut donc être accueilli.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [G] et le condamne à payer à l’association Gestaliat Basse-Normandie la somme de 3 000 euros et à Mme [B], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Multi renov habitat BCPX, la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente août deux mille vingt-trois.
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