Obligations de l'expert-comptable dans un montage fiscal (Suite)

Décision du tribunal : Cour d'appel de Metz n° 21/00471

Date : 24/11/2022

NOTRE ANALYSE

Le 27 janvier 2021, la cour de cassation avait renvoyé devant une cour d'appel une affaire de mise en cause de la responsabilité d’un expert-comptable, dans un montage fiscal contesté par l’administration. L’arrêt précise que l’opération correspondant à une prestation en dehors de la mission comptable, aurait dû faire l'objet d'une lettre de mission ponctuelle, ce qui n’a pas été le cas. Est confirmée la responsabilité du professionnel pour défaut de conseil, en raison de l’insuffisance d’information sur les conséquences et les risques fiscaux que comportait cette convention et de l’absence de présentation d’une possibilité de conclure une autre convention dite d'intégration fiscale et des avantages qu'elle pouvait procurer. Le lecteur appréciera la longueur de la procédure, les conclusions après examen des demandes des parties et le calcul des indemnisations du préjudice subi.

COUR D’APPEL DE METZ

RENVOI APRÈS CASSATION

ARRÊT DU 24 NOVEMBRE 2022

DÉBATS :

A l’audience publique du 05 Avril 2022 tenue en rapporteur par Mme Catherine DEVIGNOT, conseillère, les avocats ne s’y étant pas opposés, l’affaire a été mise en délibéré pour l’arrêt être rendu le 24 Novembre 2022 par mise à disposition publique au greffe de la 6ème chambre civile de la Cour d’appel de METZ.

EXPOSE DU LITIGE

En 2005, M. [W] [M], dirigeant de la SAS Transports [M] dont il détenait 98 % du capital social, âgé de 63 ans et souhaitant transmettre l’entreprise à sa ‘lle [K], a consulté l’expert comptable de la société, M. [Y] [T], qui a proposé le montage suivant :

– création d’une EURL, dite Touthan-kamion, ayant pour associée unique Mme [K] [M],
– cession des actions de la SAS Transports [M] à cette EURL, pour 800.000 euros,
– financement du prix de cession par un emprunt de 422.000 euros et par un crédit vendeur de 378.000 euros,
– conclusion d’une convention de «management fees», conclue le 6 janvier 2006, selon laquelle l’EURL Touthan-kamion apporterait à la SAS Transports [M] une assistance commerciale, administrative et technique, moyennant une rémunération de 126.000 euros pour la période du 6 janvier au 30 juin 2006, puis, à compter du 1er juillet 2006, de 150.000 euros par an.

Après réalisation de ces opérations, la SAS Transports [M] a fait l’objet d’un contrôle fiscal qui a donné lieu, le 27 mai 2010, à une proposition de redressement pour un montant de 146.507 euros, fondé sur la remise en question des rémunérations versées à l’EURL Touthan-kamion en vertu de la convention de « management fees».

Après négociation avec l’administration fiscale, le montant du redressement, au titre de la TVA et de l’impôt sur les sociétés, a été ramené à 32.442 euros, outre 5.881 euros pour les intérêts de retard et majorations.

Par acte d’huissier du 23 avril 2012, la SAS Transports [M], reprochant à M. [T] d’avoir commis plusieurs manquements à l’origine de ce rappel d’imposition, l’a fait assigner, ainsi que son assureur, la SA Covea Risks devant le tribunal de grande instance de Strasbourg aux ‘ns d’indemnisation de son préjudice. Elle a sollicité leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 38.323 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2011 correspondant aux sommes sollicitées par l’administration fiscale, la somme de 15.900 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2011, au titre des frais exposés lors du contrôle fiscal, ainsi que la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, outre l’application de l’article 700 du code de procédure civile. Elle a demandé, à titre subsidiaire, une expertise afin de dire si les prestations effectuées par M. [Y] [T] étaient conformes aux règles de l’art.

En réponse, M. [T] a conclu au débouté des demandes de la SAS Transports [M]. Il a sollicité, en avant-dire droit, qu’il soit enjoint à la SAS Transports [M] de produire la nature et les termes exacts de l’accord conclu avec l’administration fiscale et à titre reconventionnel, la condamnation de la SAS Transports [M] au paiement de la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux frais et dépens, ainsi que l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

La SA Covea Risks a conclu au débouté des demandes de la SAS Transports [M]. Elle a sollicité, à titre subsidiaire, que la SAS Transports [M] soit enjointe de lui communiquer la transaction qu’elle avait conclue avec l’administration fiscale et en tout état de cause, qu’elle soit condamnée à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens.
Par jugement du 2 décembre 2015, le tribunal de grande instance de Strasbourg a rejeté la demande de mesure avant dire droit et a condamné M. [T] et la SA Covea Risks, in solidum, à payer à la SAS Transports [M] les sommes de:
– 32.442 euros au titre du rappel d’impositions, au titre des sommes qui lui étaient réclamées par l’administration fiscale (sauf en ce qui concerne les intérêts de retard et majorations) avec intérêts au taux légal à compter du jugement

– 5.881 euros au titre des intérêts et majorations réclamés par l’administration ‘scale, avec intérêts au taux légal à compter du jugement
– 15.900 euros au titre des frais d’avocat exposés dans le cadre du contrôle ‘scal, avec intérêts au taux légal à compter du jugement
– 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La SA MMA IARD et la société civile d’assurance mutuelle à cotisations fixes fonds d’établissement MMA IARD assurances mutuelles venues aux droits de la SA Covea Risks ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 16 décembre 2015.

Par arrêt du 23 novembre 2017, la cour d’appel de Colmar a:
– infirmé le jugement rendu le 2 décembre 2015 par le tribunal de grande instance de Strasbourg, en ce qu’il a condamné M. [T] et la SA Covea Risks, in solidum, à payer à la SAS Transports [M] les sommes de 32.442 euros au titre du rappel d’impositions, 5.881 euros au titre des intérêts et majorations réclamés par l’administration fiscale et 15.900 euros au titre des frais d’avocat exposés dans le cadre du contrôle fiscal,

Statuant à nouveau dans la limite des chefs infirmés,

– condamné M. [T] et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, in solidum, à payer à la SAS Transports [M]  :
*la somme de 8.060 euros au titre de la perte de chance d’éviter le redressement portant sur l’impôt sur les sociétés,
*la somme de 14.124 euros au titre de la perte de chance d’éviter le redressement portant sur la TVA,
*la somme de 5.000 euros au titre des frais exposés à l’occasion du contrôle fiscal,
– confirmé, pour le surplus, le jugement déféré,
Y ajoutant,
– rejeté les demandes formées en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que chaque partie conserverait la charge de ses dépens d’appel.

M. [T] a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision.

Par arrêt du 27 janvier 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation a :
– cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il a condamné M. [T] et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, in solidum, à payer à la SAS Transports [M] les sommes de 8.060 euros au titre de la perte de chance d’éviter le redressement portant sur l’impôt sur les sociétés, de 14.124 euros au titre de la perte de chance d’éviter le redressement portant sur la TVA et en ce qu’il a statué sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 23 novembre 2017 par la cour d’appel de Colmar,
– remis, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Metz.

La Cour de cassation a tout d’abord relevé que si M. [T] avait informé la société du risque fiscal résultant de la conclusion de la convention d’assistance technique, il n’était pas certain que cette convention n’aurait pas été malgré tout conclue dans les mêmes termes, compte tenu des avantages qu’elle présentait pour les parties et de son rôle essentiel dans le montage mis en ‘uvre. Elle en a déduit que c’était à juste titre que la cour d’appel, qui n’avait pas à constater que la société aurait pu échapper au paiement de la TVA rappelée dès lors que cette imposition portait sur les sommes dues au titre des prestations facturées par l’EURL qui n’auraient pas été payées en cas de renonciation à conclure la convention, avait retenu que le préjudice de la société consistait en une perte de chance d’éviter le redressement subi.

En revanche, après avoir rappelé que la responsabilité des experts comptables s’appréciait au regard de la mission qui leur avait été confiée, la Cour de cassation a reproché à la cour d’appel, qui condamnait M. [T] et ses assureurs à indemniser la société de la perte de chance d’éviter le redressement portant sur l’impôt sur les sociétés en raison d’un manquement à son obligation d’information et de conseil sur les incidences fiscales de l’opération alors qu’une convention d’intégration fiscale conclue entre l’EURL et la société aurait permis à la société d’éviter les effets d’un redressement, de ne pas avoir recherché, comme elle y était invitée, si la proposition de conclure une convention d’intégration fiscale relevait de la mission dont la société avait chargé M. [T]. Elle a estimé que la cour avait privé sa décision de base légale.

La Cour de cassation a ensuite dit qu’il résultait de l’ancien article 1147 du code civil, que les intérêts de retard mis à la charge d’un contribuable à la suite d’une rectification fiscale constituait un préjudice réparable dont l’évaluation commandait de prendre en compte l’avantage financier procuré par la conservation, dans le patrimoine du contribuable, jusqu’à son recouvrement par l’administration fiscale, du montant des droits dont il était redevable. Retenant un défaut de base légale, elle a reproché à la cour d’appel, qui avait condamné M. [T] à verser à la SAS Transports [M] des dommages et intérêts correspondant à 50% des intérêts de retard au titre du redressement portant sur la TVA, de ne pas avoir recherché si en conservant dans son patrimoine le montant des impôts dus à compter de leur exigibilité, la société n’avait pas retiré un avantage financier de nature à compenser, fût-ce partiellement, le préjudice résultant du paiement des intérêts de retard.

Par déclaration au greffe de la cour d’appel de Metz du 16 février 2021, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles ont sollicité la reprise de l’instance après cassation.

Par conclusions déposées au greffe le 2 août 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles demandent à la cour de:
– déclarer leur appel recevable,
– infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Strasbourg le 2 décembre 2015,

Et statuant à nouveau,
– constater que M. [T] n’a commis aucune faute dans l’exercice de sa mission,
– constater que les prétendus préjudices revendiqués par la SAS Transports [M] ne sont ni certains, ni indemnisables,
– constater que tout lien de causalité entre d’éventuelles fautes de M. [T] et les prétendus préjudices revendiqués par la SAS Transports [M] fait défaut,

En conséquence,
– débouter la SAS Transports [M] de son appel incident et plus généralement de l’ensemble de ses demandes et ses prétentions,
– condamner la SAS Transports [M] à leur verser la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Transports [M] aux entiers dépens.

La SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles exposent que M. [T] n’a pas commis de faute et que la responsabilité d’un expert-comptable doit s’apprécier au regard de la mission qui lui est confiée.

Elles exposent que M. [T] avait une mission de présentation des comptes annuels ainsi qu’une mission d’assistance en matière juridique qui était limitée à l’établissement des assemblées générales ordinaires et le dépôt au tribunal de commerce, ces prestations étant accessoires à la présentation des comptes annuels.

Elles contestent l’existence d’un défaut de conseil tenant à la mise en place d’une convention de «management fees». Elles observent tout d’abord que la mise en place d’une telle convention aurait été sans incidence sur la survenue d’un contrôle fiscal et que dans l’hypothèse d’un tel contrôle, la SAS Transports [M] aurait dû, dans tous les cas, justifier de la réalité des prestations alléguées. Elles ajoutent qu’il n’est en tout état de cause pas établi que M. [T] avait connaissance par ses clients de l’absence de prestations effectives réalisées par Mme [M] lors de la mise en place de la convention de management fees. Elles précisent que ladite convention a finalement été déclarée régulière par l’administration fiscale, de sorte qu’aucune faute ne peut être alléguée à l’encontre de M. [T] à ce titre.

Elles contestent également un défaut de conseil tenant à l’absence de mise en place d’une intégration fiscale, dans la mesure où l’audit et l’optimisation du régime fiscal de la SAS Transports [M] ne faisaient pas partie des missions lui incombant.

Elles soutiennent, par ailleurs, qu’il n’existe pas de lien de causalité entre la faute reprochée et le préjudice allégué, car le contrôle fiscal serait de toute façon survenu. Elles précisent aussi que le règlement d’un impôt dû qui avait été éludé par un contribuable ne peut constituer un préjudice indemnisable et qu’il en est de même des intérêts de retard appliqués par l’administration fiscale, qui constituent la contrepartie du paiement différé de l’impôt et des rappels de TVA dont le règlement relève d’une obligation légale. Elles concluent dès lors que la SAS Transports [M] n’a pas subi de préjudice indemnisable.

A titre subsidiaire, elles soutiennent que la SAS Transports [M] ne démontre pas qu’elle aurait perdu une chance d’éviter un rappel d’impôt. Elles estiment que la perte de chance ne peut être retenue dans la mesure où il n’est pas établi que l’intimée n’aurait pas conclu la convention de «management fees», même en étant informée du risque fiscal lié à cette convention, compte tenu des nombreux avantages que procurait cette convention et du rôle essentiel qu’elle avait dans le montage mis en place. En outre, elles soulignent qu’il n’est pas non plus établi qu’en présence d’une intégration fiscale, la SAS Transports [M] aurait évité un rappel d’impôt.

Elles rappellent que la condamnation de M. [T] et son assureur à payer à M. [M] la somme de 5.000 euros au titre des frais engagés dans le cadre du redressement fiscal est devenue définitive et qu’il n’y a plus lieu de statuer sur ce point.

Elles concluent au rejet de la demande de dommages et intérêts. Elles soutiennent qu’une société ne peut obtenir l’indemnisation d’un préjudice lié à des tracasseries ou un état de stress. Elles concluent également que la SAS Transports [M] ne justifie du nombre d’heures qui aurait été consacré à l’examen du dossier fiscal.
Enfin elles indiquent que la demande d’expertise ayant été abandonnée, il n’y a plus lieu de statuer à ce titre.

Par conclusions déposées le 16 août 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, M. [T] demande à la cour de :
– déclarer recevable l’appel interjeté par la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles,
– constater qu’il n’a commis aucune faute dans l’exercice de sa mission,
– constater que les prétendus préjudices revendiqués par la SAS Transports [M] ne sont ni certains, ni indemnisables,
– constater que tout lien de causalité entre d’éventuelles fautes et les prétendus préjudices revendiqués par la SAS Transports [M] fait défaut,

En conséquence,
– infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Strasbourg le 2 décembre 2015,
– débouter la SAS Transports [M] de ses demandes,
– condamner la SAS Transports [M] à verser à la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SAS Transports [M] à lui verser la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SAS Transports [M] aux entiers dépens.

M. [T] rappelle que l’analyse de la faute d’un expert-comptable ne peut se faire qu’en tenant compte de la mission qui lui a été confiée et qu’il est soumis à une obligation de moyen et non de résultat. Il soutient que sa mission comprenait l’assistance en matière juridique dans l’établissement des assemblées générales ordinaires et le dépôt au tribunal de commerce et que cette mission relative à la présentation des comptes annuels ne comprenait pas la mise en place d’une convention d’intégration fiscale.

De plus, il relève que l’administration fiscale a confirmé la régularité de la convention de «management fees» mise en place et ajoute que la réalisation d’une convention d’intégration fiscale aurait été sans incidence sur la survenance ou non d’un contrôle fiscal. Il conclut qu’il n’a pas commis de faute.

Par ailleurs, il soutient que la SAS Transports [M] n’a pas subi de préjudice indemnisable et qu’il n’y a pas de lien de causalité établi. Il précise que le dommage allégué aurait pu survenir malgré les fautes qui lui sont reprochées et que la perte de chance n’est pas établie puisque la SAS Transports [M] ne démontre pas que l’effet de la convention d’intégration fiscale aurait évité le contrôle et le redressement fiscal.

Il conclut que la demande de dommages et intérêts n’est ni justifiée, ni proportionnée, le préjudice allégué de stress n’étant pas réparable.

Enfin, il relève que la mission d’expertise sollicitée est contraire au principe selon lequel il n’appartient pas à un expert de dire le droit.

Par conclusions du 17 août 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SAS Transports [M] demande à la cour de:
– confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 2 décembre 2015, en ce qu’il a condamné in solidum M. [T], la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, à lui payer:
*au titre des sommes qui lui sont réclamées par l’administration fiscale (sauf en ce qui concerne les intérêts de retard et majorations), la somme de 32.442 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la date de jugement,
*au titre des intérêts de retard et des majorations demandés qui lui sont exigés par l’administration fiscale, la somme de 5.881 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la date de ce jugement,
*la somme de 4.000 euros, à titre de frais de procédure de première instance, conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– confirmer ledit jugement en ce qu’il a condamné in solidum M. [T], la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, aux frais et dépens de l’instance de premier ressort,
– condamner in solidum M. [T] ainsi que la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, à lui payer la somme de 8.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d’appel,
– condamner in solidum M. [T] ainsi que la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, en tous les frais et dépens de la procédure,
Et, statuant par voie d’appel incident,
– infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
– condamner in solidum M. [T] ainsi que la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la société d’assurance SA Covea Risks, à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts, majorée des intérêts au taux légal à compter du jour de l’arrêt à intervenir.

La SAS Transports [M] affirme tout d’abord que M. [T] a manqué au devoir de conseil lui incombant en tant qu’expert-comptable. Elle soutient, sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil et de l’article 22 de l’ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945, qu’un expert-comptable établissant un acte pour le compte d’autrui est tenu non seulement d’informer ses clients mais aussi de les éclairer de manière complète sur les effets et la portée de l’opération projetée, notamment sur ses incidences fiscales. Elle précise que cette obligation est encore renforcée lorsqu’il rédige des actes juridiques sous seing privé. Elle expose qu’en l’espèce, M. [T] a mis en place un montage juridique consistant dans la création de l’EURL Touthan-Kamion dont il a rédigé les statuts et procédé à l’enregistrement ainsi que dans la réalisation de la cession des titres de M. [M] à cette société. Elle ajoute qu’il a également procédé à la rédaction d’un contrat d’assistance commerciale, administrative et technique afin de permettre à l’EURL de procéder au remboursement de l’emprunt qu’elle avait souscrit pour acquérir ses titres. Elle conclut que M. [T], rédacteur des actes, responsable du montage mais aussi des conventions qu’il avait rédigés a manqué à son devoir de conseil en ne la prévenant pas des risques fiscaux que ce montage contenait et en ne lui proposant pas la souscription d’une convention d’intégration fiscale, qui était la solution la plus adaptée à ses besoins. Elle ajoute que M. [T] ne prouve pas avoir satisfait à l’ensemble de ces obligations de conseil, étant souligné qu’il avait à son égard une large mission comptable, fiscale et juridique. Elle en déduit que sa responsabilité ainsi que celle de son assureur sont établies.
La SAS Transports [M] soutient ensuite que le dommage qu’elle a subi, soit le redressement au titre de l’impôt sur les sociétés et les pénalités y afférentes, résulte exclusivement du montage juridique orchestré par M. [T], de sorte que le lien de causalité entre la faute commise par ce dernier et son préjudice est établi. Elle affirme que sans les manquements reprochés, le dommage ne serait pas survenu et que si une convention d’intégration fiscale avait été adoptée, elle n’aurait subi aucun préjudice. Elle soutient outre que son préjudice est objectivement facilement évaluable et qu’il ne s’agit pas d’une perte de chance. Elle en déduit qu’elle doit être intégralement indemnisée.

L’intimée expose qu’après conclusion de la transaction avec l’administration fiscale, elle doit finalement un montant de 38.323 euros à cette dernière, lequel constitue un préjudice indemnisable car il résulte de la faute commise par M. [T] et non d’une imposition régulièrement due à la suite d’une erreur de déclaration. Elle explique également qu’elle ne pouvait déduire les montants payés à l’EURL Touthan-Kamion en qualité de charge et que c’est cette non-déductibilité qui a entraîné la non-déduction de la TVA due à cette charge. La SAS Transports [M] affirme également qu’elle aurait conclu la convention d’intégration fiscale si elle avait eu connaissance de ses avantages eu égard à un éventuel contrôle fiscal. Elle précise par ailleurs que le montant des frais exposés dans le cadre du contrôle fiscal ont été définitivement fixés par la cour d’appel de Colmar et ne sont plus discutables.

Enfin, la SAS Transports [M] rappelle être une entreprise familiale, profane en matière de comptabilité et de droit, de sorte que la faute de M. [T] a fortement préjudicié à son activité. Elle sollicite en conséquence la condamnation in solidum de M. [T] et de sa compagnie d’assurances à lui verser la somme de 10.000 euros de dommages-intérêts afin de l’indemniser ce préjudice d’activité indirect. Elle fait valoir que le préjudice moral des personnes morales susceptible d’être indemnisé concerne à la fois le préjudice subi par la société elle-même mais aussi le préjudice subi par les personnes physiques qui la composent dont son dirigeant. Elle soutient donc avoir subi un préjudice moral et qu’en tout état de cause, les personnes physiques participant à son activité ont subi un préjudice de stress.

Enfin, sur les demandes des parties adverses, la SAS Transports [M] relève que les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles ont abandonné leur demande d’expertise dans leurs conclusions. De plus, elle rappelle que M. [T] ne peut solliciter sa condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour le compte d’une partie qu’il ne représente pas.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 avril 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il y a lieu de constater que la cour n’est pas saisie d’une demande d’expertise ni de la demande d’indemnisation des frais engagés par la SAS Transports [M] au titre de la transaction avec l’administration fiscale.

Sur l’existence de fautes commises par M. [T]

L’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 applicable au litige, dispose que « le débiteur est condamné s’il y a lieu au paiement de dommages-intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ».

La responsabilité d’un expert-comptable s’apprécie au regard de la mission qui lui a été confiée qui définit le champ des obligations contractuelles auxquelles il est tenu.

En l’espèce, la seule lettre de mission versée aux débats concomitante aux faits, est celle que M. [T] a conclue avec la SAS Transports [M] pour l’exercice allant du 1er juillet 2004 au 30 juin 2005. Les conditions générales précisent que les missions sont renouvelables chaque année par tacite reconduction.

Aucune résiliation de ce contrat n’étant invoquée, il faut considérer que cette lettre de mission avait été reconduite tacitement pour l’exercice allant du 1er juillet 2005 au 30 juin 2006. Il est indiqué «vous nous avez confié la mission de présentation des comptes annuels définie par les normes de l’ordre des experts-comptables et d’établissement des déclarations fiscales y afférentes ».

Les prestations comprises dans les honoraires sont ensuite détaillées. Il est prévu une assistance en matière comptable, fiscale, juridique et de gestion. L’assistance comptable comprend: le choix et la définition des méthodes, systèmes et procédures comptables, la surveillance de la comptabilité, le rapprochement de TVA, la situation comptable au 31 décembre, la comptabilisation des amortissements et provisions, ainsi que l’établissement des comptes annuels avec commentaires et vérification de leur cohérence avec les conditions d’exploitation de l’entreprise.
L’assistance en matière fiscale comprend: l’établissement des déclarations annuelles de résultats, l’établissement des échéances de l’impôt sur les sociétés, l’établissement de la déclaration annuelle de la taxe professionnelle et les réponses aux administrations fiscales.
L’assistance en matière juridique comprend l’établissement des assemblées générales ordinaires et le dépôt au tribunal de commerce.
Il est enfin ajouté que toute prestation en dehors de la mission comptable fera l’objet d’une lettre de mission ponctuelle et sera facturée séparément.

Le montage que M. [T] reconnaît avoir élaboré à la demande de la SAS Transports [M] comprenant la création de l’EURL Touthan-kamion, la cession des parts de la SAS Transports [M] à cette EURL, le financement du prix de cession par un emprunt ainsi que par un crédit vendeur et enfin une convention de prestations d’assistance technique (management fees) excède largement les prestations comprises dans la lettre de mission ci-dessus qui concerne surtout l’établissement et la présentation des comptes annuels.

Il faut dès lors en déduire qu’elle correspond à une prestation ponctuelle convenue par les parties mais pour laquelle il n’est justifié d’aucune lettre de mission.

En conséquence, il appartient à la cour, au regard des éléments produits aux débats, de déterminer l’étendue de cette mission, les obligations de M. [T] et de rechercher si des manquements ont été commis.

* Sur le défaut de conseil relatif à la mise en place d’une convention d’assistance technique («management fees»)
Comme tout rédacteur d’acte, l’expert-comptable qui rédige un acte de cession est tenu à une obligation de conseil envers toutes les parties et doit s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’il confectionne.
Par ailleurs, l’expert-comptable qui accepte dans l’exercice de ses activités juridiques accessoires, d’établir un acte sous seing privé pour le compte d’autrui, est tenu, en sa qualité de rédacteur, d’informer et d’éclairer de manière complète les parties sur les effets et la portée de l’opération projetée, notamment sur ses incidences fiscales.
Il est constant que dans le cadre du projet souhaité par la SAS Transports [M], M. [T] a rédigé plusieurs actes : la création des statuts de l’EURL Touthan-kamion, la convention de cession d’actions des parts détenues par M. [W] [M] dans la SAS Transports [M] à l’EURL Touthan-kamion et enfin la «convention d’assistance commerciale administrative et technique – management fees ».
Cette dernière convention s’inscrit ainsi dans le cadre du projet global de la cession des actions de la SAS Transports [M] à l’EURL Touthan-kamion.
Or, il résulte de l’examen de la convention d’assistance commerciale administrative et technique produite qu’il n’est à aucun moment mentionné les incidences fiscales de cette convention, ni sur la SAS Transports [M], ni sur l’EURL Touthan-kamion. Il en est de même dans le document intitulé «synthèse du montage juridique [M]» établi par M. [T] et produit par la SAS Transports [M].

M. [T] ne produit par ailleurs aucune pièce permettant d’établir qu’il avait informé la SAS Transports [M] des incidences fiscales de cette convention et des risques de redressement fiscal qui en découlait, notamment quant à la nécessité de pouvoir justifier auprès de l’administration fiscale de la réalité des prestations refacturées par la SAS Transports [M] prévues dans la convention (ce qui supposait de bien distinguer les prestations accomplies par chaque société) et sur le fait que le prix facturé ainsi que la rémunération forfaitaire allouée à l’EURL Touthan-kamion ne devaient pas être excessifs par rapport aux services rendus, la SAS Transports [M] devant pouvoir justifier du principe et du montant des charges qu’elle entendait ensuite déduire de son bénéfice.

En outre, il n’est pas établi, d’une part, que la SAS Transports [M] connaissait déjà l’usage de ce type de convention et de ses exigences, comme la nécessité de bien distinguer les prestations effectuées pour chaque société, ni, d’autre part, qu’elle savait ce qui pouvait lui être demandé par l’administration fiscale, notamment que c’était à elle, en sa qualité de société filiale, de pouvoir justifier de chaque déduction de charges auprès de l’administration fiscale au titre des facturations émises par l’EURL Touthan-kamion.

Enfin, le moyen tiré du fait que l’administration a finalement considéré que la convention d’assistance était suffisamment détaillée, que l’effectivité du travail de Mme [M] n’était pas remise en cause et que la rémunération prévue par le contrat n’était pas exagérée est inopérant dans la mesure où il n’est pas reproché à M. [T] d’avoir rédigé une convention irrégulière, mais de ne pas avoir suffisamment informé la SAS Transports [M] des conséquences et risques fiscaux que comportait cette convention. De plus, il convient de relever qu’un redressement fiscal, même s’il a été minoré, a néanmoins été appliqué.
C’est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu un manquement de M. [T] à son devoir d’information et de conseil au titre de cette convention.

* Sur le défaut de conseil relatif à la possibilité de conclure une convention d’intégration fiscale

En confiant à M. [T] la conception du projet visant à transmettre la société à Mme [K] [M], la SAS Transports [M] lui a, de fait, donné une large mission. En l’acceptant et en se chargeant de la rédaction des actes essentiels de ce projet, M. [T] avait une obligation d’information et de conseil complète sur celui-ci, notamment sur le plan fiscal étant rappelé que deux sociétés étaient impliquées et étroitement liées.

De par la nature de cette mission, il lui appartenait d’informer la SAS Transports [M] de la possibilité de souscrire une convention d’intégration fiscale, étant souligné qu’il est constant que les conditions d’application de celles-ci étaient réunies (détention par la société mère d’au moins 95% du capital de la société intégrée). Ce régime, prévu par l’article 223A du code général des impôts, qui permet à une société mère de se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû sur l’ensemble des résultats du groupe a pour conséquence de pouvoir compenser les bénéfices et les déficits des entités du groupe et d’éliminer les doubles impositions ainsi que les doubles déductions.

Il appartenait ainsi à M. [T] au moins d’informer la SAS Transports [M] de la possibilité de recourir à cette convention d’intégration fiscale et des avantages qui pouvaient en découler.

D’ailleurs, dans un courrier adressé à la Banque Populaire le 5 janvier 2005 dans lequel M. [T] transmet à cette dernière un dossier prévisionnel de la SAS Transports [M] ainsi que «deux dossiers prévisionnels de la holding financière  dans le cadre de la transmission d’entreprise à Mme [K] [M], M. [T] indique sous la rubrique présentation, autres informations, le remboursement de l’emprunt par des managements fees facturés mensuellement puis «option pour l’intégration fiscale avec la SAS [M] ».

Il faut en déduire qu’en mentionnant cette possibilité dans la présentation du projet, M. [T] avait bien intégré dans sa mission une assistance fiscale comportant la proposition d’un régime adapté au projet, et notamment la convention d’intégration fiscale.

Or, M. [T] ne produit aucune pièce permettant d’établir qu’il a informé la SAS Transports [M] de la possibilité de recourir à cette convention et des avantages qu’elle pouvait procurer.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a retenu un défaut de conseil à ce titre.

Sur l’indemnisation du préjudice subi par la SAS Transports [M]
* Sur le lien de causalité et la nature du préjudice subi du fait du redressement fiscal
Si le paiement de l’impôt mis à la charge d’un contribuable à la suite d’une rectification fiscale ne constitue pas un préjudice indemnisable, aucun préjudice ne pouvant découler du paiement auquel un contribuable est légalement tenu, un préjudice peut en revanche découler du paiement d’un impôt auquel le contribuable est légalement tenu lorsqu’il est établi que dûment informé ou conseillé, celui-ci aurait pu ne pas s’acquitter de l’impôt en cause et qu’il a ainsi perdu une chance d’éviter le paiement de cet impôt.

Il convient tout d’abord de relever que dans ses conclusions, la SAS Transports [M] invoque un redressement fiscal initial de 146.507 euros consécutif des manquements de M. [T] à ses obligations de conseil. Or cette somme correspond aux montants initialement sollicités par l’administration au titre du redressement fiscal relatif à l’impôt sur les sociétés et à la TVA devant être retenue au titre de la convention d’assistance technique conclue avec l’EURL Touthan-kamion.
La SAS Transports [M] n’inclut donc pas dans son préjudice le redressement fiscal à hauteur de 17.240 euros correspondant à la TVA qu’elle avait indûment déduite par anticipation, hors application de la convention d’assistance technique, et qui n’est pas un préjudice indemnisable.
D’ailleurs, dans ses dernières conclusions, la SAS Transports [M] limite sa demande d’indemnisation à la somme finalement sollicitée par l’administration fiscale après transaction, soit la somme de 38.323 euros qui se décompose ainsi :
– 26.942 euros au titre du contrôle de TVA dans le cadre de la convention d’assistance technique
– 5.500 euros au titre des sommes dues sur l’impôt sur les sociétés
– 1.306 euros au titre des intérêts et majorations de retard appliquées aux sommes dues au titre de la TVA dans le cadre de la convention d’assistance technique
– 4.575 euros au titre des intérêts et majorations appliquées au titre de l’impôt sur les sociétés.

Aucune indemnisation n’est donc sollicitée au titre de la déclaration anticipée de TVA. Le moyen invoqué sur ce point doit donc être rejeté.

Si la décision de l’administration fiscale d’effectuer un contrôle auprès de la SAS Transports [M] en janvier et mai 2010 n’est pas en lien avec les fautes commises par M. [T], le redressement opéré par l’administration à la suite de ce contrôle est en revanche la conséquence directe et certaine du manquement de M. [T] à son obligation d’information et de conseil. En effet, un redressement fiscal, même s’il a été réduit après transaction, a bien été appliqué à hauteur de 38.323 euros à l’encontre de la SAS Transports [M].

En ne donnant pas d’informations relatives aux incidences fiscales de la convention d’assistance technique conclue avec l’EURL Touthan-kamion et aux risques qu’elle comportait à ce titre, notamment en cas de contrôle fiscal, la SAS Transports [M] a subi un préjudice qui consiste dans la perte certaine d’une chance d’éviter le risque que l’administration fiscale réintègre dans les résultats de la société les charges déduites par la SAS Transports [M] au titre des rémunérations fixées par la convention.

Ce préjudice est indemnisable dès lors que, dûment informée ou conseillée, la SAS Transports [M] aurait pu ne pas conclure de convention d’assistance technique avec l’EURL Thouthan-Kamion et aurait alors évité de s’acquitter de l’impôt dû après le redressement fiscal.
Toute perte de chance ouvre droit à réparation, qui doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

En l’espèce, pour évaluer la perte de chance subie par la SAS Transports [M], il y a lieu de tenir compte du rôle essentiel que cette convention d’assistance technique avait dans le projet global envisagé de reprise de la société et des avantages qu’elle procurait (notamment pour le remboursement du prix de cession) et qu’il n’est ainsi pas certain que, même informée des risques que comportait cette convention, la SAS Transports [M] n’aurait pas conclu cette convention dans les mêmes termes. Dès lors, il faut évaluer la perte de chance de cette dernière d’éviter un redressement fiscal portant sur la TVA due au titre des prestations convenues par la convention à 20%.

De même, l’absence d’information et de conseil sur la possibilité pour la SAS Transports [M] de conclure une convention d’intégration fiscale avec l’EURL Touthan-kamion a un lien direct avec le rappel d’impôt sollicité par l’administration auprès de la SAS Transports [M]. Si l’existence d’une convention d’intégration fiscale n’aurait pu empêcher un contrôle fiscal puisque l’article 223A II du code général des impôts dispose expressément que les sociétés du groupe restent soumises à l’obligation de déclarer leurs résultats qui peuvent être vérifiés, la conclusion d’une telle convention aurait permis à cette société d’éviter les effets d’un redressement au titre de l’impôt sur les sociétés dont aurait été seule redevable l’EURL Touthan-kamion. Le préjudice de la SAS Transports [M] est donc indemnisable.

La SAS Transports [M] a ainsi subi un préjudice qui s’analyse en une perte de chance directe et certaine d’éviter le paiement de l’impôt sur les sociétés qu’il convient d’évaluer à 80%.

* Sur l’évaluation du préjudice subi au titre du rappel de TVA due en application de la convention d’assistance technique et au titre du redressement sur l’impôt sur les sociétés

Il résulte du courrier du 4 janvier 2012 adressé à la SAS Transports [M] par l’administration fiscale que cette dernière a appliqué un redressement de 26.942 euros correspondant au rappel de TVA dû au titre de la convention d’assistance technique.

Au regard des motifs susvisés et de l’évaluation à 20% de la perte de chance subie à ce titre , le préjudice de la SAS Transports [M] doit être évalué à la somme de 5.388,40 euros (soit [26.942 x 20] / 100).

Il résulte également du courrier susvisé que l’administration fiscale a appliqué à la SAS Transports [M] un redressement de 5.500 euros au titre de l’impôt sur les sociétés.

La perte de chance d’éviter le paiement de cet impôt étant évalué dans les motifs ci-dessus à 80 %, le préjudice subi par la SAS Transports [M] doit être évalué à la somme de 4.400 euros (soit [5.500 x 80] / 100).

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu’il a condamné in solidum M. [T] et la SA Covea Risks à payer à la SAS Transports [M] la somme de 32.442 euros. Statuant à nouveau, M. [T] ainsi que la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles venant aux droits de la SA Covea Risks seront condamnés in solidum à payer à la SAS Transports [M] la somme de 9.788,40 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt, conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil.

* Sur la demande d’indemnisation au titre des intérêts de retard appliqués

Il résulte des dispositions de l’ancien article 1147 du code civil applicable en l’espèce que les intérêts de retard mis à la charge d’un contribuable à la suite d’une rectification fiscale constituent un préjudice réparable dont l’évaluation commande de prendre en compte l’avantage financier procuré par la conservation, dans le patrimoine du contribuable, jusqu’à son recouvrement par l’administration fiscale, du montant des droits dont il était redevable.

Par ailleurs, par application de l’article 1353 du code civil, il appartient à celui qui sollicite l’indemnisation d’un préjudice de rapporter la preuve de l’existence de ce dernier.

En l’espèce, il est établi qu’à la suite du redressement fiscal des intérêts de retard, il a été appliqué à l’encontre de la SAS Transports [M] des intérêts de retard à hauteur de 1.306 euros au titre du rappel de TVA et des intérêts de retard et majorations à hauteur de 4.575 euros au titre du rappel d’impôt sur les sociétés.

Toutefois, il doit être tenu compte du fait que la SAS Transports [M] a retiré un avantage financier dû à la conservation dans son patrimoine de la somme de 38.323 euros correspondant au montant des impôts dus à compter de leur exigibilité (étant rappelé que le contrôle fiscal portait sur les exercices 2007, 2008 et 2009) jusqu’au paiement de ces impôts après le redressement fiscal effectué en 2010 .

Or, la SAS Transports [M] ne justifie pas de la date du règlement de ces sommes à l’administration fiscale et elle n’établit pas que le préjudice qu’elle invoque au titre du paiement des intérêts de retard n’est pas entièrement compensé par l’avantage financier procuré par la conservation dans son patrimoine de cette somme totale de 38.323 euros depuis chaque date d’exigibilité de l’impôt jusqu’à son recouvrement par l’administration fiscale, d’autant plus que son préjudice dû à l’application d’intérêts de retard doit être évalué en tenant compte des taux de perte de chance visés ci-dessus.

En conséquence, la SAS Transports [M] doit être déboutée de sa demande d’indemnisation au titre des intérêts de retard appliqués à la suite du redressement fiscal. Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.

* Sur la demande d’indemnisation du préjudice moral à hauteur de 10.000 euros

Si une personne morale peut obtenir réparation d’un préjudice moral tous les préjudices de cette nature ne sont cependant pas indemnisables. Il en est ainsi de ceux qui sont propres aux personnes physiques tels que les préjudices dus au stress ou à l’anxiété.

Dès lors c’est à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande d’indemnisation formée au titre du stress subi par la SAS Transports [M].

Par ailleurs, la SAS Transports [M] ne produit aucune pièce justifiant des heures de travail supplémentaires ou d’un ralentissement de son activité dus au redressement fiscal.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté la SAS Transports [M] de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris au titre de ses dispositions relatives aux dépens et à l’application de l’article 700 du code de procédure civile mais uniquement afin de mentionner que la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles sont venues aux droits de la société Covea Risks, le principe et le montant des condamnations étant repris. En conséquence, la SA MMA IARD, la société civile MMA IARD assurances mutuelles ainsi que M. [Y] [T] seront in solidum condamnés aux dépens.

L’équité commande qu’ils soient également condamnés in solidum à payer à la SAS Transports [M] la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et déboutés de leurs demandes formées sur ce point.
La SA MMA IARD, la société civile MMA IARD assurances mutuelles ainsi que M. [Y] [T] qui succombent principalement, seront condamnés in solidum aux dépens de l’appel y compris les dépens engagés devant la cour d’appel de Colmar.

Au regard de l’équité, la SA MMA IARD, la société civile MMA IARD assurances mutuelles ainsi que M. [Y] [T] seront également condamnés in solidum à payer à la SAS Transports [M] la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile y compris au titre de la procédure engagée devant la cour d’appel de Colmar et seront déboutés de leurs demandes formées sur ce même fondement.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 2 décembre 2015 en ce qu’il a débouté la SAS Transports [M] de sa demande d’indemnisation au titre de son préjudice moral ;

L’infirme pour le surplus dans les limites de l’appel et, statuant à nouveau,

Condamne in solidum la SA MMA IARD et la société civile d’assurance mutuelle à cotisations fixes fonds d’établissement MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, ainsi que M. [Y] [T] à payer à la SAS Transports [M] la somme de 9.788,40 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt ;

Déboute la SAS Transports [M] de sa demande d’indemnisation à hauteur de 5.881 euros formée au titre des intérêts et majorations de retard ;

Condamne in solidum la SA MMA IARD et la société civile d’assurance mutuelle à cotisations fixes fonds d’établissement MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, ainsi que M. [Y] [T] aux dépens de première instance ;

Condamne in solidum la SA MMA IARD et la société civile d’assurance mutuelle à cotisations fixes fonds d’établissement MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, ainsi que M. [Y] [T] à payer à la SAS Transports [M] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Les déboute de leurs demandes formées sur ce même fondement ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum la SA MMA IARD et la société civile d’assurance mutuelle à cotisations fixes fonds d’établissement MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, ainsi que M. [Y] [T] aux dépens de l’appel y compris les dépens engagés devant la cour d’appel de Colmar ;

Condamne in solidum la SA MMA IARD et la société civile d’assurance mutuelle à cotisations fixes fonds d’établissement MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, ainsi que M. [Y] [T] à payer à la SAS Transports [M] la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile y compris au titre de la procédure engagée devant la cour d’appel de Colmar ;

Déboute la SA MMA IARD et la société civile d’assurance mutuelle à cotisations fixes fonds d’établissement MMA IARD assurances mutuelles ainsi que M. [Y] [T] de leurs demandes formée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

COUR D’APPEL DE METZ

RENVOI APRÈS CASSATION

ARRÊT DU 24 NOVEMBRE 2022

DÉBATS :

A l’audience publique du 05 Avril 2022 tenue en rapporteur par Mme Catherine DEVIGNOT, conseillère, les avocats ne s’y étant pas opposés, l’affaire a été mise en délibéré pour l’arrêt être rendu le 24 Novembre 2022 par mise à disposition publique au greffe de la 6ème chambre civile de la Cour d’appel de METZ.

EXPOSE DU LITIGE

En 2005, M. [W] [M], dirigeant de la SAS Transports [M] dont il détenait 98 % du capital social, âgé de 63 ans et souhaitant transmettre l’entreprise à sa ‘lle [K], a consulté l’expert comptable de la société, M. [Y] [T], qui a proposé le montage suivant :

– création d’une EURL, dite Touthan-kamion, ayant pour associée unique Mme [K] [M],
– cession des actions de la SAS Transports [M] à cette EURL, pour 800.000 euros,
– financement du prix de cession par un emprunt de 422.000 euros et par un crédit vendeur de 378.000 euros,
– conclusion d’une convention de «management fees», conclue le 6 janvier 2006, selon laquelle l’EURL Touthan-kamion apporterait à la SAS Transports [M] une assistance commerciale, administrative et technique, moyennant une rémunération de 126.000 euros pour la période du 6 janvier au 30 juin 2006, puis, à compter du 1er juillet 2006, de 150.000 euros par an.

Après réalisation de ces opérations, la SAS Transports [M] a fait l’objet d’un contrôle fiscal qui a donné lieu, le 27 mai 2010, à une proposition de redressement pour un montant de 146.507 euros, fondé sur la remise en question des rémunérations versées à l’EURL Touthan-kamion en vertu de la convention de « management fees».

Après négociation avec l’administration fiscale, le montant du redressement, au titre de la TVA et de l’impôt sur les sociétés, a été ramené à 32.442 euros, outre 5.881 euros pour les intérêts de retard et majorations.

Par acte d’huissier du 23 avril 2012, la SAS Transports [M], reprochant à M. [T] d’avoir commis plusieurs manquements à l’origine de ce rappel d’imposition, l’a fait assigner, ainsi que son assureur, la SA Covea Risks devant le tribunal de grande instance de Strasbourg aux ‘ns d’indemnisation de son préjudice. Elle a sollicité leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 38.323 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2011 correspondant aux sommes sollicitées par l’administration fiscale, la somme de 15.900 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2011, au titre des frais exposés lors du contrôle fiscal, ainsi que la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, outre l’application de l’article 700 du code de procédure civile. Elle a demandé, à titre subsidiaire, une expertise afin de dire si les prestations effectuées par M. [Y] [T] étaient conformes aux règles de l’art.

En réponse, M. [T] a conclu au débouté des demandes de la SAS Transports [M]. Il a sollicité, en avant-dire droit, qu’il soit enjoint à la SAS Transports [M] de produire la nature et les termes exacts de l’accord conclu avec l’administration fiscale et à titre reconventionnel, la condamnation de la SAS Transports [M] au paiement de la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux frais et dépens, ainsi que l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

La SA Covea Risks a conclu au débouté des demandes de la SAS Transports [M]. Elle a sollicité, à titre subsidiaire, que la SAS Transports [M] soit enjointe de lui communiquer la transaction qu’elle avait conclue avec l’administration fiscale et en tout état de cause, qu’elle soit condamnée à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens.
Par jugement du 2 décembre 2015, le tribunal de grande instance de Strasbourg a rejeté la demande de mesure avant dire droit et a condamné M. [T] et la SA Covea Risks, in solidum, à payer à la SAS Transports [M] les sommes de:
– 32.442 euros au titre du rappel d’impositions, au titre des sommes qui lui étaient réclamées par l’administration fiscale (sauf en ce qui concerne les intérêts de retard et majorations) avec intérêts au taux légal à compter du jugement

– 5.881 euros au titre des intérêts et majorations réclamés par l’administration ‘scale, avec intérêts au taux légal à compter du jugement
– 15.900 euros au titre des frais d’avocat exposés dans le cadre du contrôle ‘scal, avec intérêts au taux légal à compter du jugement
– 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La SA MMA IARD et la société civile d’assurance mutuelle à cotisations fixes fonds d’établissement MMA IARD assurances mutuelles venues aux droits de la SA Covea Risks ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 16 décembre 2015.

Par arrêt du 23 novembre 2017, la cour d’appel de Colmar a:
– infirmé le jugement rendu le 2 décembre 2015 par le tribunal de grande instance de Strasbourg, en ce qu’il a condamné M. [T] et la SA Covea Risks, in solidum, à payer à la SAS Transports [M] les sommes de 32.442 euros au titre du rappel d’impositions, 5.881 euros au titre des intérêts et majorations réclamés par l’administration fiscale et 15.900 euros au titre des frais d’avocat exposés dans le cadre du contrôle fiscal,

Statuant à nouveau dans la limite des chefs infirmés,

– condamné M. [T] et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, in solidum, à payer à la SAS Transports [M]  :
*la somme de 8.060 euros au titre de la perte de chance d’éviter le redressement portant sur l’impôt sur les sociétés,
*la somme de 14.124 euros au titre de la perte de chance d’éviter le redressement portant sur la TVA,
*la somme de 5.000 euros au titre des frais exposés à l’occasion du contrôle fiscal,
– confirmé, pour le surplus, le jugement déféré,
Y ajoutant,
– rejeté les demandes formées en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que chaque partie conserverait la charge de ses dépens d’appel.

M. [T] a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision.

Par arrêt du 27 janvier 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation a :
– cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il a condamné M. [T] et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, in solidum, à payer à la SAS Transports [M] les sommes de 8.060 euros au titre de la perte de chance d’éviter le redressement portant sur l’impôt sur les sociétés, de 14.124 euros au titre de la perte de chance d’éviter le redressement portant sur la TVA et en ce qu’il a statué sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 23 novembre 2017 par la cour d’appel de Colmar,
– remis, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Metz.

La Cour de cassation a tout d’abord relevé que si M. [T] avait informé la société du risque fiscal résultant de la conclusion de la convention d’assistance technique, il n’était pas certain que cette convention n’aurait pas été malgré tout conclue dans les mêmes termes, compte tenu des avantages qu’elle présentait pour les parties et de son rôle essentiel dans le montage mis en ‘uvre. Elle en a déduit que c’était à juste titre que la cour d’appel, qui n’avait pas à constater que la société aurait pu échapper au paiement de la TVA rappelée dès lors que cette imposition portait sur les sommes dues au titre des prestations facturées par l’EURL qui n’auraient pas été payées en cas de renonciation à conclure la convention, avait retenu que le préjudice de la société consistait en une perte de chance d’éviter le redressement subi.

En revanche, après avoir rappelé que la responsabilité des experts comptables s’appréciait au regard de la mission qui leur avait été confiée, la Cour de cassation a reproché à la cour d’appel, qui condamnait M. [T] et ses assureurs à indemniser la société de la perte de chance d’éviter le redressement portant sur l’impôt sur les sociétés en raison d’un manquement à son obligation d’information et de conseil sur les incidences fiscales de l’opération alors qu’une convention d’intégration fiscale conclue entre l’EURL et la société aurait permis à la société d’éviter les effets d’un redressement, de ne pas avoir recherché, comme elle y était invitée, si la proposition de conclure une convention d’intégration fiscale relevait de la mission dont la société avait chargé M. [T]. Elle a estimé que la cour avait privé sa décision de base légale.

La Cour de cassation a ensuite dit qu’il résultait de l’ancien article 1147 du code civil, que les intérêts de retard mis à la charge d’un contribuable à la suite d’une rectification fiscale constituait un préjudice réparable dont l’évaluation commandait de prendre en compte l’avantage financier procuré par la conservation, dans le patrimoine du contribuable, jusqu’à son recouvrement par l’administration fiscale, du montant des droits dont il était redevable. Retenant un défaut de base légale, elle a reproché à la cour d’appel, qui avait condamné M. [T] à verser à la SAS Transports [M] des dommages et intérêts correspondant à 50% des intérêts de retard au titre du redressement portant sur la TVA, de ne pas avoir recherché si en conservant dans son patrimoine le montant des impôts dus à compter de leur exigibilité, la société n’avait pas retiré un avantage financier de nature à compenser, fût-ce partiellement, le préjudice résultant du paiement des intérêts de retard.

Par déclaration au greffe de la cour d’appel de Metz du 16 février 2021, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles ont sollicité la reprise de l’instance après cassation.

Par conclusions déposées au greffe le 2 août 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles demandent à la cour de:
– déclarer leur appel recevable,
– infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Strasbourg le 2 décembre 2015,

Et statuant à nouveau,
– constater que M. [T] n’a commis aucune faute dans l’exercice de sa mission,
– constater que les prétendus préjudices revendiqués par la SAS Transports [M] ne sont ni certains, ni indemnisables,
– constater que tout lien de causalité entre d’éventuelles fautes de M. [T] et les prétendus préjudices revendiqués par la SAS Transports [M] fait défaut,

En conséquence,
– débouter la SAS Transports [M] de son appel incident et plus généralement de l’ensemble de ses demandes et ses prétentions,
– condamner la SAS Transports [M] à leur verser la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Transports [M] aux entiers dépens.

La SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles exposent que M. [T] n’a pas commis de faute et que la responsabilité d’un expert-comptable doit s’apprécier au regard de la mission qui lui est confiée.

Elles exposent que M. [T] avait une mission de présentation des comptes annuels ainsi qu’une mission d’assistance en matière juridique qui était limitée à l’établissement des assemblées générales ordinaires et le dépôt au tribunal de commerce, ces prestations étant accessoires à la présentation des comptes annuels.

Elles contestent l’existence d’un défaut de conseil tenant à la mise en place d’une convention de «management fees». Elles observent tout d’abord que la mise en place d’une telle convention aurait été sans incidence sur la survenue d’un contrôle fiscal et que dans l’hypothèse d’un tel contrôle, la SAS Transports [M] aurait dû, dans tous les cas, justifier de la réalité des prestations alléguées. Elles ajoutent qu’il n’est en tout état de cause pas établi que M. [T] avait connaissance par ses clients de l’absence de prestations effectives réalisées par Mme [M] lors de la mise en place de la convention de management fees. Elles précisent que ladite convention a finalement été déclarée régulière par l’administration fiscale, de sorte qu’aucune faute ne peut être alléguée à l’encontre de M. [T] à ce titre.

Elles contestent également un défaut de conseil tenant à l’absence de mise en place d’une intégration fiscale, dans la mesure où l’audit et l’optimisation du régime fiscal de la SAS Transports [M] ne faisaient pas partie des missions lui incombant.

Elles soutiennent, par ailleurs, qu’il n’existe pas de lien de causalité entre la faute reprochée et le préjudice allégué, car le contrôle fiscal serait de toute façon survenu. Elles précisent aussi que le règlement d’un impôt dû qui avait été éludé par un contribuable ne peut constituer un préjudice indemnisable et qu’il en est de même des intérêts de retard appliqués par l’administration fiscale, qui constituent la contrepartie du paiement différé de l’impôt et des rappels de TVA dont le règlement relève d’une obligation légale. Elles concluent dès lors que la SAS Transports [M] n’a pas subi de préjudice indemnisable.

A titre subsidiaire, elles soutiennent que la SAS Transports [M] ne démontre pas qu’elle aurait perdu une chance d’éviter un rappel d’impôt. Elles estiment que la perte de chance ne peut être retenue dans la mesure où il n’est pas établi que l’intimée n’aurait pas conclu la convention de «management fees», même en étant informée du risque fiscal lié à cette convention, compte tenu des nombreux avantages que procurait cette convention et du rôle essentiel qu’elle avait dans le montage mis en place. En outre, elles soulignent qu’il n’est pas non plus établi qu’en présence d’une intégration fiscale, la SAS Transports [M] aurait évité un rappel d’impôt.

Elles rappellent que la condamnation de M. [T] et son assureur à payer à M. [M] la somme de 5.000 euros au titre des frais engagés dans le cadre du redressement fiscal est devenue définitive et qu’il n’y a plus lieu de statuer sur ce point.

Elles concluent au rejet de la demande de dommages et intérêts. Elles soutiennent qu’une société ne peut obtenir l’indemnisation d’un préjudice lié à des tracasseries ou un état de stress. Elles concluent également que la SAS Transports [M] ne justifie du nombre d’heures qui aurait été consacré à l’examen du dossier fiscal.
Enfin elles indiquent que la demande d’expertise ayant été abandonnée, il n’y a plus lieu de statuer à ce titre.

Par conclusions déposées le 16 août 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, M. [T] demande à la cour de :
– déclarer recevable l’appel interjeté par la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles,
– constater qu’il n’a commis aucune faute dans l’exercice de sa mission,
– constater que les prétendus préjudices revendiqués par la SAS Transports [M] ne sont ni certains, ni indemnisables,
– constater que tout lien de causalité entre d’éventuelles fautes et les prétendus préjudices revendiqués par la SAS Transports [M] fait défaut,

En conséquence,
– infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Strasbourg le 2 décembre 2015,
– débouter la SAS Transports [M] de ses demandes,
– condamner la SAS Transports [M] à verser à la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SAS Transports [M] à lui verser la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SAS Transports [M] aux entiers dépens.

M. [T] rappelle que l’analyse de la faute d’un expert-comptable ne peut se faire qu’en tenant compte de la mission qui lui a été confiée et qu’il est soumis à une obligation de moyen et non de résultat. Il soutient que sa mission comprenait l’assistance en matière juridique dans l’établissement des assemblées générales ordinaires et le dépôt au tribunal de commerce et que cette mission relative à la présentation des comptes annuels ne comprenait pas la mise en place d’une convention d’intégration fiscale.

De plus, il relève que l’administration fiscale a confirmé la régularité de la convention de «management fees» mise en place et ajoute que la réalisation d’une convention d’intégration fiscale aurait été sans incidence sur la survenance ou non d’un contrôle fiscal. Il conclut qu’il n’a pas commis de faute.

Par ailleurs, il soutient que la SAS Transports [M] n’a pas subi de préjudice indemnisable et qu’il n’y a pas de lien de causalité établi. Il précise que le dommage allégué aurait pu survenir malgré les fautes qui lui sont reprochées et que la perte de chance n’est pas établie puisque la SAS Transports [M] ne démontre pas que l’effet de la convention d’intégration fiscale aurait évité le contrôle et le redressement fiscal.

Il conclut que la demande de dommages et intérêts n’est ni justifiée, ni proportionnée, le préjudice allégué de stress n’étant pas réparable.

Enfin, il relève que la mission d’expertise sollicitée est contraire au principe selon lequel il n’appartient pas à un expert de dire le droit.

Par conclusions du 17 août 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SAS Transports [M] demande à la cour de:
– confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 2 décembre 2015, en ce qu’il a condamné in solidum M. [T], la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, à lui payer:
*au titre des sommes qui lui sont réclamées par l’administration fiscale (sauf en ce qui concerne les intérêts de retard et majorations), la somme de 32.442 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la date de jugement,
*au titre des intérêts de retard et des majorations demandés qui lui sont exigés par l’administration fiscale, la somme de 5.881 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la date de ce jugement,
*la somme de 4.000 euros, à titre de frais de procédure de première instance, conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– confirmer ledit jugement en ce qu’il a condamné in solidum M. [T], la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, aux frais et dépens de l’instance de premier ressort,
– condamner in solidum M. [T] ainsi que la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, à lui payer la somme de 8.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d’appel,
– condamner in solidum M. [T] ainsi que la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, en tous les frais et dépens de la procédure,
Et, statuant par voie d’appel incident,
– infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
– condamner in solidum M. [T] ainsi que la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la société d’assurance SA Covea Risks, à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts, majorée des intérêts au taux légal à compter du jour de l’arrêt à intervenir.

La SAS Transports [M] affirme tout d’abord que M. [T] a manqué au devoir de conseil lui incombant en tant qu’expert-comptable. Elle soutient, sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil et de l’article 22 de l’ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945, qu’un expert-comptable établissant un acte pour le compte d’autrui est tenu non seulement d’informer ses clients mais aussi de les éclairer de manière complète sur les effets et la portée de l’opération projetée, notamment sur ses incidences fiscales. Elle précise que cette obligation est encore renforcée lorsqu’il rédige des actes juridiques sous seing privé. Elle expose qu’en l’espèce, M. [T] a mis en place un montage juridique consistant dans la création de l’EURL Touthan-Kamion dont il a rédigé les statuts et procédé à l’enregistrement ainsi que dans la réalisation de la cession des titres de M. [M] à cette société. Elle ajoute qu’il a également procédé à la rédaction d’un contrat d’assistance commerciale, administrative et technique afin de permettre à l’EURL de procéder au remboursement de l’emprunt qu’elle avait souscrit pour acquérir ses titres. Elle conclut que M. [T], rédacteur des actes, responsable du montage mais aussi des conventions qu’il avait rédigés a manqué à son devoir de conseil en ne la prévenant pas des risques fiscaux que ce montage contenait et en ne lui proposant pas la souscription d’une convention d’intégration fiscale, qui était la solution la plus adaptée à ses besoins. Elle ajoute que M. [T] ne prouve pas avoir satisfait à l’ensemble de ces obligations de conseil, étant souligné qu’il avait à son égard une large mission comptable, fiscale et juridique. Elle en déduit que sa responsabilité ainsi que celle de son assureur sont établies.
La SAS Transports [M] soutient ensuite que le dommage qu’elle a subi, soit le redressement au titre de l’impôt sur les sociétés et les pénalités y afférentes, résulte exclusivement du montage juridique orchestré par M. [T], de sorte que le lien de causalité entre la faute commise par ce dernier et son préjudice est établi. Elle affirme que sans les manquements reprochés, le dommage ne serait pas survenu et que si une convention d’intégration fiscale avait été adoptée, elle n’aurait subi aucun préjudice. Elle soutient outre que son préjudice est objectivement facilement évaluable et qu’il ne s’agit pas d’une perte de chance. Elle en déduit qu’elle doit être intégralement indemnisée.

L’intimée expose qu’après conclusion de la transaction avec l’administration fiscale, elle doit finalement un montant de 38.323 euros à cette dernière, lequel constitue un préjudice indemnisable car il résulte de la faute commise par M. [T] et non d’une imposition régulièrement due à la suite d’une erreur de déclaration. Elle explique également qu’elle ne pouvait déduire les montants payés à l’EURL Touthan-Kamion en qualité de charge et que c’est cette non-déductibilité qui a entraîné la non-déduction de la TVA due à cette charge. La SAS Transports [M] affirme également qu’elle aurait conclu la convention d’intégration fiscale si elle avait eu connaissance de ses avantages eu égard à un éventuel contrôle fiscal. Elle précise par ailleurs que le montant des frais exposés dans le cadre du contrôle fiscal ont été définitivement fixés par la cour d’appel de Colmar et ne sont plus discutables.

Enfin, la SAS Transports [M] rappelle être une entreprise familiale, profane en matière de comptabilité et de droit, de sorte que la faute de M. [T] a fortement préjudicié à son activité. Elle sollicite en conséquence la condamnation in solidum de M. [T] et de sa compagnie d’assurances à lui verser la somme de 10.000 euros de dommages-intérêts afin de l’indemniser ce préjudice d’activité indirect. Elle fait valoir que le préjudice moral des personnes morales susceptible d’être indemnisé concerne à la fois le préjudice subi par la société elle-même mais aussi le préjudice subi par les personnes physiques qui la composent dont son dirigeant. Elle soutient donc avoir subi un préjudice moral et qu’en tout état de cause, les personnes physiques participant à son activité ont subi un préjudice de stress.

Enfin, sur les demandes des parties adverses, la SAS Transports [M] relève que les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles ont abandonné leur demande d’expertise dans leurs conclusions. De plus, elle rappelle que M. [T] ne peut solliciter sa condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour le compte d’une partie qu’il ne représente pas.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 avril 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il y a lieu de constater que la cour n’est pas saisie d’une demande d’expertise ni de la demande d’indemnisation des frais engagés par la SAS Transports [M] au titre de la transaction avec l’administration fiscale.

Sur l’existence de fautes commises par M. [T]

L’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 applicable au litige, dispose que « le débiteur est condamné s’il y a lieu au paiement de dommages-intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ».

La responsabilité d’un expert-comptable s’apprécie au regard de la mission qui lui a été confiée qui définit le champ des obligations contractuelles auxquelles il est tenu.

En l’espèce, la seule lettre de mission versée aux débats concomitante aux faits, est celle que M. [T] a conclue avec la SAS Transports [M] pour l’exercice allant du 1er juillet 2004 au 30 juin 2005. Les conditions générales précisent que les missions sont renouvelables chaque année par tacite reconduction.

Aucune résiliation de ce contrat n’étant invoquée, il faut considérer que cette lettre de mission avait été reconduite tacitement pour l’exercice allant du 1er juillet 2005 au 30 juin 2006. Il est indiqué «vous nous avez confié la mission de présentation des comptes annuels définie par les normes de l’ordre des experts-comptables et d’établissement des déclarations fiscales y afférentes ».

Les prestations comprises dans les honoraires sont ensuite détaillées. Il est prévu une assistance en matière comptable, fiscale, juridique et de gestion. L’assistance comptable comprend: le choix et la définition des méthodes, systèmes et procédures comptables, la surveillance de la comptabilité, le rapprochement de TVA, la situation comptable au 31 décembre, la comptabilisation des amortissements et provisions, ainsi que l’établissement des comptes annuels avec commentaires et vérification de leur cohérence avec les conditions d’exploitation de l’entreprise.
L’assistance en matière fiscale comprend: l’établissement des déclarations annuelles de résultats, l’établissement des échéances de l’impôt sur les sociétés, l’établissement de la déclaration annuelle de la taxe professionnelle et les réponses aux administrations fiscales.
L’assistance en matière juridique comprend l’établissement des assemblées générales ordinaires et le dépôt au tribunal de commerce.
Il est enfin ajouté que toute prestation en dehors de la mission comptable fera l’objet d’une lettre de mission ponctuelle et sera facturée séparément.

Le montage que M. [T] reconnaît avoir élaboré à la demande de la SAS Transports [M] comprenant la création de l’EURL Touthan-kamion, la cession des parts de la SAS Transports [M] à cette EURL, le financement du prix de cession par un emprunt ainsi que par un crédit vendeur et enfin une convention de prestations d’assistance technique (management fees) excède largement les prestations comprises dans la lettre de mission ci-dessus qui concerne surtout l’établissement et la présentation des comptes annuels.

Il faut dès lors en déduire qu’elle correspond à une prestation ponctuelle convenue par les parties mais pour laquelle il n’est justifié d’aucune lettre de mission.

En conséquence, il appartient à la cour, au regard des éléments produits aux débats, de déterminer l’étendue de cette mission, les obligations de M. [T] et de rechercher si des manquements ont été commis.

* Sur le défaut de conseil relatif à la mise en place d’une convention d’assistance technique («management fees»)
Comme tout rédacteur d’acte, l’expert-comptable qui rédige un acte de cession est tenu à une obligation de conseil envers toutes les parties et doit s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’il confectionne.
Par ailleurs, l’expert-comptable qui accepte dans l’exercice de ses activités juridiques accessoires, d’établir un acte sous seing privé pour le compte d’autrui, est tenu, en sa qualité de rédacteur, d’informer et d’éclairer de manière complète les parties sur les effets et la portée de l’opération projetée, notamment sur ses incidences fiscales.
Il est constant que dans le cadre du projet souhaité par la SAS Transports [M], M. [T] a rédigé plusieurs actes : la création des statuts de l’EURL Touthan-kamion, la convention de cession d’actions des parts détenues par M. [W] [M] dans la SAS Transports [M] à l’EURL Touthan-kamion et enfin la «convention d’assistance commerciale administrative et technique – management fees ».
Cette dernière convention s’inscrit ainsi dans le cadre du projet global de la cession des actions de la SAS Transports [M] à l’EURL Touthan-kamion.
Or, il résulte de l’examen de la convention d’assistance commerciale administrative et technique produite qu’il n’est à aucun moment mentionné les incidences fiscales de cette convention, ni sur la SAS Transports [M], ni sur l’EURL Touthan-kamion. Il en est de même dans le document intitulé «synthèse du montage juridique [M]» établi par M. [T] et produit par la SAS Transports [M].

M. [T] ne produit par ailleurs aucune pièce permettant d’établir qu’il avait informé la SAS Transports [M] des incidences fiscales de cette convention et des risques de redressement fiscal qui en découlait, notamment quant à la nécessité de pouvoir justifier auprès de l’administration fiscale de la réalité des prestations refacturées par la SAS Transports [M] prévues dans la convention (ce qui supposait de bien distinguer les prestations accomplies par chaque société) et sur le fait que le prix facturé ainsi que la rémunération forfaitaire allouée à l’EURL Touthan-kamion ne devaient pas être excessifs par rapport aux services rendus, la SAS Transports [M] devant pouvoir justifier du principe et du montant des charges qu’elle entendait ensuite déduire de son bénéfice.

En outre, il n’est pas établi, d’une part, que la SAS Transports [M] connaissait déjà l’usage de ce type de convention et de ses exigences, comme la nécessité de bien distinguer les prestations effectuées pour chaque société, ni, d’autre part, qu’elle savait ce qui pouvait lui être demandé par l’administration fiscale, notamment que c’était à elle, en sa qualité de société filiale, de pouvoir justifier de chaque déduction de charges auprès de l’administration fiscale au titre des facturations émises par l’EURL Touthan-kamion.

Enfin, le moyen tiré du fait que l’administration a finalement considéré que la convention d’assistance était suffisamment détaillée, que l’effectivité du travail de Mme [M] n’était pas remise en cause et que la rémunération prévue par le contrat n’était pas exagérée est inopérant dans la mesure où il n’est pas reproché à M. [T] d’avoir rédigé une convention irrégulière, mais de ne pas avoir suffisamment informé la SAS Transports [M] des conséquences et risques fiscaux que comportait cette convention. De plus, il convient de relever qu’un redressement fiscal, même s’il a été minoré, a néanmoins été appliqué.
C’est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu un manquement de M. [T] à son devoir d’information et de conseil au titre de cette convention.

* Sur le défaut de conseil relatif à la possibilité de conclure une convention d’intégration fiscale

En confiant à M. [T] la conception du projet visant à transmettre la société à Mme [K] [M], la SAS Transports [M] lui a, de fait, donné une large mission. En l’acceptant et en se chargeant de la rédaction des actes essentiels de ce projet, M. [T] avait une obligation d’information et de conseil complète sur celui-ci, notamment sur le plan fiscal étant rappelé que deux sociétés étaient impliquées et étroitement liées.

De par la nature de cette mission, il lui appartenait d’informer la SAS Transports [M] de la possibilité de souscrire une convention d’intégration fiscale, étant souligné qu’il est constant que les conditions d’application de celles-ci étaient réunies (détention par la société mère d’au moins 95% du capital de la société intégrée). Ce régime, prévu par l’article 223A du code général des impôts, qui permet à une société mère de se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû sur l’ensemble des résultats du groupe a pour conséquence de pouvoir compenser les bénéfices et les déficits des entités du groupe et d’éliminer les doubles impositions ainsi que les doubles déductions.

Il appartenait ainsi à M. [T] au moins d’informer la SAS Transports [M] de la possibilité de recourir à cette convention d’intégration fiscale et des avantages qui pouvaient en découler.

D’ailleurs, dans un courrier adressé à la Banque Populaire le 5 janvier 2005 dans lequel M. [T] transmet à cette dernière un dossier prévisionnel de la SAS Transports [M] ainsi que «deux dossiers prévisionnels de la holding financière  dans le cadre de la transmission d’entreprise à Mme [K] [M], M. [T] indique sous la rubrique présentation, autres informations, le remboursement de l’emprunt par des managements fees facturés mensuellement puis «option pour l’intégration fiscale avec la SAS [M] ».

Il faut en déduire qu’en mentionnant cette possibilité dans la présentation du projet, M. [T] avait bien intégré dans sa mission une assistance fiscale comportant la proposition d’un régime adapté au projet, et notamment la convention d’intégration fiscale.

Or, M. [T] ne produit aucune pièce permettant d’établir qu’il a informé la SAS Transports [M] de la possibilité de recourir à cette convention et des avantages qu’elle pouvait procurer.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a retenu un défaut de conseil à ce titre.

Sur l’indemnisation du préjudice subi par la SAS Transports [M]
* Sur le lien de causalité et la nature du préjudice subi du fait du redressement fiscal
Si le paiement de l’impôt mis à la charge d’un contribuable à la suite d’une rectification fiscale ne constitue pas un préjudice indemnisable, aucun préjudice ne pouvant découler du paiement auquel un contribuable est légalement tenu, un préjudice peut en revanche découler du paiement d’un impôt auquel le contribuable est légalement tenu lorsqu’il est établi que dûment informé ou conseillé, celui-ci aurait pu ne pas s’acquitter de l’impôt en cause et qu’il a ainsi perdu une chance d’éviter le paiement de cet impôt.

Il convient tout d’abord de relever que dans ses conclusions, la SAS Transports [M] invoque un redressement fiscal initial de 146.507 euros consécutif des manquements de M. [T] à ses obligations de conseil. Or cette somme correspond aux montants initialement sollicités par l’administration au titre du redressement fiscal relatif à l’impôt sur les sociétés et à la TVA devant être retenue au titre de la convention d’assistance technique conclue avec l’EURL Touthan-kamion.
La SAS Transports [M] n’inclut donc pas dans son préjudice le redressement fiscal à hauteur de 17.240 euros correspondant à la TVA qu’elle avait indûment déduite par anticipation, hors application de la convention d’assistance technique, et qui n’est pas un préjudice indemnisable.
D’ailleurs, dans ses dernières conclusions, la SAS Transports [M] limite sa demande d’indemnisation à la somme finalement sollicitée par l’administration fiscale après transaction, soit la somme de 38.323 euros qui se décompose ainsi :
– 26.942 euros au titre du contrôle de TVA dans le cadre de la convention d’assistance technique
– 5.500 euros au titre des sommes dues sur l’impôt sur les sociétés
– 1.306 euros au titre des intérêts et majorations de retard appliquées aux sommes dues au titre de la TVA dans le cadre de la convention d’assistance technique
– 4.575 euros au titre des intérêts et majorations appliquées au titre de l’impôt sur les sociétés.

Aucune indemnisation n’est donc sollicitée au titre de la déclaration anticipée de TVA. Le moyen invoqué sur ce point doit donc être rejeté.

Si la décision de l’administration fiscale d’effectuer un contrôle auprès de la SAS Transports [M] en janvier et mai 2010 n’est pas en lien avec les fautes commises par M. [T], le redressement opéré par l’administration à la suite de ce contrôle est en revanche la conséquence directe et certaine du manquement de M. [T] à son obligation d’information et de conseil. En effet, un redressement fiscal, même s’il a été réduit après transaction, a bien été appliqué à hauteur de 38.323 euros à l’encontre de la SAS Transports [M].

En ne donnant pas d’informations relatives aux incidences fiscales de la convention d’assistance technique conclue avec l’EURL Touthan-kamion et aux risques qu’elle comportait à ce titre, notamment en cas de contrôle fiscal, la SAS Transports [M] a subi un préjudice qui consiste dans la perte certaine d’une chance d’éviter le risque que l’administration fiscale réintègre dans les résultats de la société les charges déduites par la SAS Transports [M] au titre des rémunérations fixées par la convention.

Ce préjudice est indemnisable dès lors que, dûment informée ou conseillée, la SAS Transports [M] aurait pu ne pas conclure de convention d’assistance technique avec l’EURL Thouthan-Kamion et aurait alors évité de s’acquitter de l’impôt dû après le redressement fiscal.
Toute perte de chance ouvre droit à réparation, qui doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

En l’espèce, pour évaluer la perte de chance subie par la SAS Transports [M], il y a lieu de tenir compte du rôle essentiel que cette convention d’assistance technique avait dans le projet global envisagé de reprise de la société et des avantages qu’elle procurait (notamment pour le remboursement du prix de cession) et qu’il n’est ainsi pas certain que, même informée des risques que comportait cette convention, la SAS Transports [M] n’aurait pas conclu cette convention dans les mêmes termes. Dès lors, il faut évaluer la perte de chance de cette dernière d’éviter un redressement fiscal portant sur la TVA due au titre des prestations convenues par la convention à 20%.

De même, l’absence d’information et de conseil sur la possibilité pour la SAS Transports [M] de conclure une convention d’intégration fiscale avec l’EURL Touthan-kamion a un lien direct avec le rappel d’impôt sollicité par l’administration auprès de la SAS Transports [M]. Si l’existence d’une convention d’intégration fiscale n’aurait pu empêcher un contrôle fiscal puisque l’article 223A II du code général des impôts dispose expressément que les sociétés du groupe restent soumises à l’obligation de déclarer leurs résultats qui peuvent être vérifiés, la conclusion d’une telle convention aurait permis à cette société d’éviter les effets d’un redressement au titre de l’impôt sur les sociétés dont aurait été seule redevable l’EURL Touthan-kamion. Le préjudice de la SAS Transports [M] est donc indemnisable.

La SAS Transports [M] a ainsi subi un préjudice qui s’analyse en une perte de chance directe et certaine d’éviter le paiement de l’impôt sur les sociétés qu’il convient d’évaluer à 80%.

* Sur l’évaluation du préjudice subi au titre du rappel de TVA due en application de la convention d’assistance technique et au titre du redressement sur l’impôt sur les sociétés

Il résulte du courrier du 4 janvier 2012 adressé à la SAS Transports [M] par l’administration fiscale que cette dernière a appliqué un redressement de 26.942 euros correspondant au rappel de TVA dû au titre de la convention d’assistance technique.

Au regard des motifs susvisés et de l’évaluation à 20% de la perte de chance subie à ce titre , le préjudice de la SAS Transports [M] doit être évalué à la somme de 5.388,40 euros (soit [26.942 x 20] / 100).

Il résulte également du courrier susvisé que l’administration fiscale a appliqué à la SAS Transports [M] un redressement de 5.500 euros au titre de l’impôt sur les sociétés.

La perte de chance d’éviter le paiement de cet impôt étant évalué dans les motifs ci-dessus à 80 %, le préjudice subi par la SAS Transports [M] doit être évalué à la somme de 4.400 euros (soit [5.500 x 80] / 100).

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu’il a condamné in solidum M. [T] et la SA Covea Risks à payer à la SAS Transports [M] la somme de 32.442 euros. Statuant à nouveau, M. [T] ainsi que la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles venant aux droits de la SA Covea Risks seront condamnés in solidum à payer à la SAS Transports [M] la somme de 9.788,40 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt, conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil.

* Sur la demande d’indemnisation au titre des intérêts de retard appliqués

Il résulte des dispositions de l’ancien article 1147 du code civil applicable en l’espèce que les intérêts de retard mis à la charge d’un contribuable à la suite d’une rectification fiscale constituent un préjudice réparable dont l’évaluation commande de prendre en compte l’avantage financier procuré par la conservation, dans le patrimoine du contribuable, jusqu’à son recouvrement par l’administration fiscale, du montant des droits dont il était redevable.

Par ailleurs, par application de l’article 1353 du code civil, il appartient à celui qui sollicite l’indemnisation d’un préjudice de rapporter la preuve de l’existence de ce dernier.

En l’espèce, il est établi qu’à la suite du redressement fiscal des intérêts de retard, il a été appliqué à l’encontre de la SAS Transports [M] des intérêts de retard à hauteur de 1.306 euros au titre du rappel de TVA et des intérêts de retard et majorations à hauteur de 4.575 euros au titre du rappel d’impôt sur les sociétés.

Toutefois, il doit être tenu compte du fait que la SAS Transports [M] a retiré un avantage financier dû à la conservation dans son patrimoine de la somme de 38.323 euros correspondant au montant des impôts dus à compter de leur exigibilité (étant rappelé que le contrôle fiscal portait sur les exercices 2007, 2008 et 2009) jusqu’au paiement de ces impôts après le redressement fiscal effectué en 2010 .

Or, la SAS Transports [M] ne justifie pas de la date du règlement de ces sommes à l’administration fiscale et elle n’établit pas que le préjudice qu’elle invoque au titre du paiement des intérêts de retard n’est pas entièrement compensé par l’avantage financier procuré par la conservation dans son patrimoine de cette somme totale de 38.323 euros depuis chaque date d’exigibilité de l’impôt jusqu’à son recouvrement par l’administration fiscale, d’autant plus que son préjudice dû à l’application d’intérêts de retard doit être évalué en tenant compte des taux de perte de chance visés ci-dessus.

En conséquence, la SAS Transports [M] doit être déboutée de sa demande d’indemnisation au titre des intérêts de retard appliqués à la suite du redressement fiscal. Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.

* Sur la demande d’indemnisation du préjudice moral à hauteur de 10.000 euros

Si une personne morale peut obtenir réparation d’un préjudice moral tous les préjudices de cette nature ne sont cependant pas indemnisables. Il en est ainsi de ceux qui sont propres aux personnes physiques tels que les préjudices dus au stress ou à l’anxiété.

Dès lors c’est à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande d’indemnisation formée au titre du stress subi par la SAS Transports [M].

Par ailleurs, la SAS Transports [M] ne produit aucune pièce justifiant des heures de travail supplémentaires ou d’un ralentissement de son activité dus au redressement fiscal.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté la SAS Transports [M] de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris au titre de ses dispositions relatives aux dépens et à l’application de l’article 700 du code de procédure civile mais uniquement afin de mentionner que la SA MMA IARD et la société civile MMA IARD assurances mutuelles sont venues aux droits de la société Covea Risks, le principe et le montant des condamnations étant repris. En conséquence, la SA MMA IARD, la société civile MMA IARD assurances mutuelles ainsi que M. [Y] [T] seront in solidum condamnés aux dépens.

L’équité commande qu’ils soient également condamnés in solidum à payer à la SAS Transports [M] la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et déboutés de leurs demandes formées sur ce point.
La SA MMA IARD, la société civile MMA IARD assurances mutuelles ainsi que M. [Y] [T] qui succombent principalement, seront condamnés in solidum aux dépens de l’appel y compris les dépens engagés devant la cour d’appel de Colmar.

Au regard de l’équité, la SA MMA IARD, la société civile MMA IARD assurances mutuelles ainsi que M. [Y] [T] seront également condamnés in solidum à payer à la SAS Transports [M] la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile y compris au titre de la procédure engagée devant la cour d’appel de Colmar et seront déboutés de leurs demandes formées sur ce même fondement.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 2 décembre 2015 en ce qu’il a débouté la SAS Transports [M] de sa demande d’indemnisation au titre de son préjudice moral ;

L’infirme pour le surplus dans les limites de l’appel et, statuant à nouveau,

Condamne in solidum la SA MMA IARD et la société civile d’assurance mutuelle à cotisations fixes fonds d’établissement MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, ainsi que M. [Y] [T] à payer à la SAS Transports [M] la somme de 9.788,40 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt ;

Déboute la SAS Transports [M] de sa demande d’indemnisation à hauteur de 5.881 euros formée au titre des intérêts et majorations de retard ;

Condamne in solidum la SA MMA IARD et la société civile d’assurance mutuelle à cotisations fixes fonds d’établissement MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, ainsi que M. [Y] [T] aux dépens de première instance ;

Condamne in solidum la SA MMA IARD et la société civile d’assurance mutuelle à cotisations fixes fonds d’établissement MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, ainsi que M. [Y] [T] à payer à la SAS Transports [M] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Les déboute de leurs demandes formées sur ce même fondement ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum la SA MMA IARD et la société civile d’assurance mutuelle à cotisations fixes fonds d’établissement MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, ainsi que M. [Y] [T] aux dépens de l’appel y compris les dépens engagés devant la cour d’appel de Colmar ;

Condamne in solidum la SA MMA IARD et la société civile d’assurance mutuelle à cotisations fixes fonds d’établissement MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la SA Covea Risks, ainsi que M. [Y] [T] à payer à la SAS Transports [M] la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile y compris au titre de la procédure engagée devant la cour d’appel de Colmar ;

Déboute la SA MMA IARD et la société civile d’assurance mutuelle à cotisations fixes fonds d’établissement MMA IARD assurances mutuelles ainsi que M. [Y] [T] de leurs demandes formée en application de l’article 700 du code de procédure civile.