Vérification de comptabilité et responsabilité de l'expert-comptable
Décision du tribunal : Cour de cassation N° 20-19.276
Date : 05/04/2023
NOTRE ANALYSE
Après réunion de toutes les parts d’une société entre les mains d’un associé, l’administration fiscale considère que, faute d’option en faveur du maintien à l’impôt sur les sociétés, l’opération entraîne un changement de régime fiscal. L’associé, désormais imposé à l’impôt sur le revenu sur le résultat fiscal imposable de ladite société, assigne son expert-comptable en paiement de dommages et intérêts, au motif que le redressement est la cause des fautes commises dans l’exercice de sa mission. La Cour confirme la responsabilité du professionnel et aggrave l’indemnisation due à l’associé en vertu du principe de la réparation intégrale du préjudice.
…
1°/ La société Provence location, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ M. [W] [P], domicilié [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° R 20-19.276 contre l’arrêt rendu le 4 juin 2020 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige les opposant à la société Cabinet Ferrero, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Tostain, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Provence location et de M. [P], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Cabinet Ferrero, après débats en l’audience publique du 14 février 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Tostain, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 juin 2020), la société Provence location, dont M. [P] est devenu l’unique associé à compter du 2 novembre 2007, avait pour expert-comptable la société Cabinet Ferrero (le cabinet Ferrero). Elle a fait l’objet d’une vérification de comptabilité, qui a été suivie, le 25 juillet 2011, de l’envoi d’une proposition de rectification portant notamment calcul d’un nouveau résultat fiscal imposable en matière de bénéfice industriel et commercial pour les exercices 2008 et 2009.
2. Parallèlement, considérant que la réunion de toutes les parts de la société Provence Location dans les mains de M. [P] avait, faute d’option de cette société en faveur du maintien de son imposition à l’impôt sur les sociétés, entraîné un changement de régime fiscal, l’administration fiscale a notifié à M. [P] un redressement d’impôt sur le revenu pour les années 2008 et 2009, notamment après intégration, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, du résultat fiscal rectifié de la société Provence location, tout en remboursant à cette dernière la somme de 88 843 euros que celle-ci avait versée au titre de l’impôt sur les sociétés pour les années 2008 et 2009.
3. Soutenant que ces redressements fiscaux étaient la conséquence de fautes commises par le cabinet Ferrero dans l’exercice de sa mission, la société Provence location et M. [P] l’ont assigné en paiement de dommages et intérêts.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. M. [P] fait grief à l’arrêt de limiter à la somme de 93 236 euros la condamnation mise à la charge du cabinet Ferrero en réparation du préjudice qu’il a subi au titre de son redressement fiscal sur l’impôt sur le revenu, alors « que l’associé d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée qui supporte personnellement l’impôt dû sur les bénéfices réalisés par sa société, en raison de la faute de son expert-comptable qui ne l’a pas prévenu du changement du régime fiscal et de la nécessité de notifier à l’administration fiscale l’option en faveur de l’impôt sur les sociétés pour conserver ce régime d’imposition, subit un préjudice correspondant à la totalité du redressement fiscal imputable à cette faute ; qu’il résulte des avis d’imposition sur le revenu rectifiés pour les années 2008 et 2009 par l’administration fiscale, annexés au rapport d’expertise de M. [B], que M. [P] a subi un redressement, pénalités incluses, d’un montant total de 266 091 euros après déduction du montant de l’impôt sur le revenu déjà versé avant le contrôle fiscal ; qu’en réduisant l’assiette du préjudice indemnisable de M. [P] à la somme de 213 893 euros après avoir déduit une seconde fois du montant de l’impôt redressé le montant de l’impôt payé avant le redressement, la cour d’appel a violé l’article 1147, devenu 1231-1, du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 et le principe de la réparation intégrale sans perte, ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale du préjudice :
6. La réparation intégrale d’un dommage oblige à placer celui qui l’a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n’avait pas eu lieu.
7. Pour réduire à la somme de 213 893 euros l’assiette du préjudice indemnisable de M. [P] à raison du redressement fiscal qui lui a été appliqué relativement à son impôt sur le revenu, l’arrêt déduit de la somme de 181 302 euros, qui figure sur son avis d’imposition sur le revenu rectifié pour l’année 2008, celle de 23 342 euros, correspondant au montant de l’impôt sur le revenu qu’il avait payé, avant le redressement fiscal, au titre de cette même année, et déduit de la somme de 84 789 euros, qui figure sur l’avis d’imposition sur le revenu rectifié pour l’année 2009, celle de 28 856 euros, correspondant au montant de l’impôt sur le revenu qu’il avait payé, avant le redressement fiscal, au titre de ladite année 2009.
8. En statuant ainsi, alors que les sommes de 181 302 euros et 84 789 euros correspondaient aux impositions nettes à recouvrer après le redressement, déduction faite de l’impôt déjà payé, la cour d’appel a violé le principe susvisé.
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
9. M. [P] fait le même grief à l’arrêt, alors « que l’associé d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée qui supporte personnellement l’impôt dû sur les bénéfices réalisés par sa société, en raison de la faute de son expert-comptable qui ne l’a pas prévenu de la nécessité de notifier à l’administration fiscale l’option en faveur de l’impôt sur les sociétés pour conserver ce régime d’imposition, subit un préjudice correspondant à la totalité du redressement imputable à cette faute ; qu’en déduisant du préjudice indemnisable de M. [P] au titre de son redressement fiscal sur l’impôt sur le revenu les sommes remboursées à la société Provence location au titre de l’impôt sur les sociétés, la cour d’appel a violé l’article 1147, devenu 1231-1, du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 et le principe de la réparation intégrale sans perte, ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale du préjudice :
10. Pour limiter à la somme de 93 236 euros la condamnation mise à la charge du cabinet Ferrero en réparation du préjudice subi par M. [P] au titre du redressement fiscal à l’impôt sur le revenu des années 2008 et 2009, l’arrêt déduit du montant des suppléments d’impôt sur les revenus réclamés à M. [P] la somme de 88 843 euros restituée par l’administration fiscale à la société Provence location au titre de l’impôt sur les sociétés que celle-ci a acquitté au titre des années 2008 et 2009.
11. En statuant ainsi, alors que la somme litigieuse, déduite du préjudice indemnisable de M. [P], avait été restituée par l’administration fiscale, non pas à ce dernier, mais à la société Provence location, et que si, dûment informée, la société Provence location avait opté pour l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés, M. [P] n’aurait pas été personnellement imposé à l’impôt sur le revenu sur le résultat fiscal imposable de ladite société, la cour d’appel a violé le principe susvisé.
Et sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
12. M. [P] fait le même grief à l’arrêt, alors « que le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu ; qu’à supposer même que la réintégration dans les résultats de la société Provence location des sommes correspondant aux loyers payés à la société civile immobilière La Queirade et au remboursement effectué par un fournisseur ne soit pas imputable à l’expert-comptable, l’imposition des résultats ainsi rectifiés au titre des bénéfices industriels et commerciaux de M. [P] résulte de la faute commise par le cabinet Ferrero ; qu’en décidant de déduire du préjudice indemnisable de M. [P] au titre de son redressement fiscal sur l’impôt sur le revenu l’impôt et les pénalités générés par ces sommes, la cour d’appel a violé l’article 1147, devenu 1231-1, du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 et le principe de la réparation intégrale sans perte, ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale du préjudice :
13. Pour limiter à la somme de 93 236 euros la condamnation mise à la charge du cabinet Ferrero en réparation du préjudice subi par M. [P] au titre du redressement fiscal à l’impôt sur le revenu des années 2008 et 2009, l’arrêt déduit encore du montant des suppléments d’impôt sur le revenu mis à la charge de M. [P] la part, évaluée à 31 787 euros, de l’impôt et des pénalités relative aux sommes dont la réintégration dans le résultat fiscal imposable de la société Provence location n’est pas imputable au cabinet Ferrero.
14. En statuant ainsi, alors que si, dûment informée, la société Provence location avait opté pour l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés, M. [P] n’aurait pas été personnellement imposé à l’impôt sur le revenu sur le résultat fiscal imposable de ladite société, même après la rectification de ce résultat, la cour d’appel a violé le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. L’intérêt d’une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
17. Il résulte de ce qui précède que le préjudice de M. [P] causé par le redressement fiscal à l’impôt sur le revenu qui lui a été notifié au titre des années 2008 et 2009 s’évalue au montant des suppléments d’impôt qui ont été mis à la charge de celui-ci, à savoir la somme de 181 302 euros pour l’année 2008 et celle de 84 789 euros pour l’année 2009, soit un total de 266 091 euros, sommes au paiement desquelles il n’aurait pas été exposé si la société Provence location avait, dûment conseillée par le cabinet Ferrero, opté pour son assujettissement à l’impôt sur les sociétés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la société Cabinet Ferrero à payer à M. [P] la somme de 93 263 euros au titre de son redressement fiscal à l’impôt sur le revenu, l’arrêt rendu le 4 juin 2020, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Condamne la société Cabinet Ferrero à payer à M. [P] la somme totale de 266 091 euros au titre du redressement fiscal à l’impôt sur le revenu qui lui a été notifié au titre des années 2008 et 2009 ;
Condamne la société Cabinet Ferrero aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cabinet Ferrero et la condamne à payer à M. [P] et à la société Provence location la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CO00274
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1°/ La société Provence location, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ M. [W] [P], domicilié [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° R 20-19.276 contre l’arrêt rendu le 4 juin 2020 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige les opposant à la société Cabinet Ferrero, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Tostain, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Provence location et de M. [P], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Cabinet Ferrero, après débats en l’audience publique du 14 février 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Tostain, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 juin 2020), la société Provence location, dont M. [P] est devenu l’unique associé à compter du 2 novembre 2007, avait pour expert-comptable la société Cabinet Ferrero (le cabinet Ferrero). Elle a fait l’objet d’une vérification de comptabilité, qui a été suivie, le 25 juillet 2011, de l’envoi d’une proposition de rectification portant notamment calcul d’un nouveau résultat fiscal imposable en matière de bénéfice industriel et commercial pour les exercices 2008 et 2009.
2. Parallèlement, considérant que la réunion de toutes les parts de la société Provence Location dans les mains de M. [P] avait, faute d’option de cette société en faveur du maintien de son imposition à l’impôt sur les sociétés, entraîné un changement de régime fiscal, l’administration fiscale a notifié à M. [P] un redressement d’impôt sur le revenu pour les années 2008 et 2009, notamment après intégration, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, du résultat fiscal rectifié de la société Provence location, tout en remboursant à cette dernière la somme de 88 843 euros que celle-ci avait versée au titre de l’impôt sur les sociétés pour les années 2008 et 2009.
3. Soutenant que ces redressements fiscaux étaient la conséquence de fautes commises par le cabinet Ferrero dans l’exercice de sa mission, la société Provence location et M. [P] l’ont assigné en paiement de dommages et intérêts.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. M. [P] fait grief à l’arrêt de limiter à la somme de 93 236 euros la condamnation mise à la charge du cabinet Ferrero en réparation du préjudice qu’il a subi au titre de son redressement fiscal sur l’impôt sur le revenu, alors « que l’associé d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée qui supporte personnellement l’impôt dû sur les bénéfices réalisés par sa société, en raison de la faute de son expert-comptable qui ne l’a pas prévenu du changement du régime fiscal et de la nécessité de notifier à l’administration fiscale l’option en faveur de l’impôt sur les sociétés pour conserver ce régime d’imposition, subit un préjudice correspondant à la totalité du redressement fiscal imputable à cette faute ; qu’il résulte des avis d’imposition sur le revenu rectifiés pour les années 2008 et 2009 par l’administration fiscale, annexés au rapport d’expertise de M. [B], que M. [P] a subi un redressement, pénalités incluses, d’un montant total de 266 091 euros après déduction du montant de l’impôt sur le revenu déjà versé avant le contrôle fiscal ; qu’en réduisant l’assiette du préjudice indemnisable de M. [P] à la somme de 213 893 euros après avoir déduit une seconde fois du montant de l’impôt redressé le montant de l’impôt payé avant le redressement, la cour d’appel a violé l’article 1147, devenu 1231-1, du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 et le principe de la réparation intégrale sans perte, ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale du préjudice :
6. La réparation intégrale d’un dommage oblige à placer celui qui l’a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n’avait pas eu lieu.
7. Pour réduire à la somme de 213 893 euros l’assiette du préjudice indemnisable de M. [P] à raison du redressement fiscal qui lui a été appliqué relativement à son impôt sur le revenu, l’arrêt déduit de la somme de 181 302 euros, qui figure sur son avis d’imposition sur le revenu rectifié pour l’année 2008, celle de 23 342 euros, correspondant au montant de l’impôt sur le revenu qu’il avait payé, avant le redressement fiscal, au titre de cette même année, et déduit de la somme de 84 789 euros, qui figure sur l’avis d’imposition sur le revenu rectifié pour l’année 2009, celle de 28 856 euros, correspondant au montant de l’impôt sur le revenu qu’il avait payé, avant le redressement fiscal, au titre de ladite année 2009.
8. En statuant ainsi, alors que les sommes de 181 302 euros et 84 789 euros correspondaient aux impositions nettes à recouvrer après le redressement, déduction faite de l’impôt déjà payé, la cour d’appel a violé le principe susvisé.
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
9. M. [P] fait le même grief à l’arrêt, alors « que l’associé d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée qui supporte personnellement l’impôt dû sur les bénéfices réalisés par sa société, en raison de la faute de son expert-comptable qui ne l’a pas prévenu de la nécessité de notifier à l’administration fiscale l’option en faveur de l’impôt sur les sociétés pour conserver ce régime d’imposition, subit un préjudice correspondant à la totalité du redressement imputable à cette faute ; qu’en déduisant du préjudice indemnisable de M. [P] au titre de son redressement fiscal sur l’impôt sur le revenu les sommes remboursées à la société Provence location au titre de l’impôt sur les sociétés, la cour d’appel a violé l’article 1147, devenu 1231-1, du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 et le principe de la réparation intégrale sans perte, ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale du préjudice :
10. Pour limiter à la somme de 93 236 euros la condamnation mise à la charge du cabinet Ferrero en réparation du préjudice subi par M. [P] au titre du redressement fiscal à l’impôt sur le revenu des années 2008 et 2009, l’arrêt déduit du montant des suppléments d’impôt sur les revenus réclamés à M. [P] la somme de 88 843 euros restituée par l’administration fiscale à la société Provence location au titre de l’impôt sur les sociétés que celle-ci a acquitté au titre des années 2008 et 2009.
11. En statuant ainsi, alors que la somme litigieuse, déduite du préjudice indemnisable de M. [P], avait été restituée par l’administration fiscale, non pas à ce dernier, mais à la société Provence location, et que si, dûment informée, la société Provence location avait opté pour l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés, M. [P] n’aurait pas été personnellement imposé à l’impôt sur le revenu sur le résultat fiscal imposable de ladite société, la cour d’appel a violé le principe susvisé.
Et sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
12. M. [P] fait le même grief à l’arrêt, alors « que le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu ; qu’à supposer même que la réintégration dans les résultats de la société Provence location des sommes correspondant aux loyers payés à la société civile immobilière La Queirade et au remboursement effectué par un fournisseur ne soit pas imputable à l’expert-comptable, l’imposition des résultats ainsi rectifiés au titre des bénéfices industriels et commerciaux de M. [P] résulte de la faute commise par le cabinet Ferrero ; qu’en décidant de déduire du préjudice indemnisable de M. [P] au titre de son redressement fiscal sur l’impôt sur le revenu l’impôt et les pénalités générés par ces sommes, la cour d’appel a violé l’article 1147, devenu 1231-1, du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 et le principe de la réparation intégrale sans perte, ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale du préjudice :
13. Pour limiter à la somme de 93 236 euros la condamnation mise à la charge du cabinet Ferrero en réparation du préjudice subi par M. [P] au titre du redressement fiscal à l’impôt sur le revenu des années 2008 et 2009, l’arrêt déduit encore du montant des suppléments d’impôt sur le revenu mis à la charge de M. [P] la part, évaluée à 31 787 euros, de l’impôt et des pénalités relative aux sommes dont la réintégration dans le résultat fiscal imposable de la société Provence location n’est pas imputable au cabinet Ferrero.
14. En statuant ainsi, alors que si, dûment informée, la société Provence location avait opté pour l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés, M. [P] n’aurait pas été personnellement imposé à l’impôt sur le revenu sur le résultat fiscal imposable de ladite société, même après la rectification de ce résultat, la cour d’appel a violé le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. L’intérêt d’une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
17. Il résulte de ce qui précède que le préjudice de M. [P] causé par le redressement fiscal à l’impôt sur le revenu qui lui a été notifié au titre des années 2008 et 2009 s’évalue au montant des suppléments d’impôt qui ont été mis à la charge de celui-ci, à savoir la somme de 181 302 euros pour l’année 2008 et celle de 84 789 euros pour l’année 2009, soit un total de 266 091 euros, sommes au paiement desquelles il n’aurait pas été exposé si la société Provence location avait, dûment conseillée par le cabinet Ferrero, opté pour son assujettissement à l’impôt sur les sociétés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la société Cabinet Ferrero à payer à M. [P] la somme de 93 263 euros au titre de son redressement fiscal à l’impôt sur le revenu, l’arrêt rendu le 4 juin 2020, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Condamne la société Cabinet Ferrero à payer à M. [P] la somme totale de 266 091 euros au titre du redressement fiscal à l’impôt sur le revenu qui lui a été notifié au titre des années 2008 et 2009 ;
Condamne la société Cabinet Ferrero aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cabinet Ferrero et la condamne à payer à M. [P] et à la société Provence location la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CO00274
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